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A R M É N I E
Les faits ne furent connus que trois mois plus tard, au
commencement de novembre
1894,
par des dépêches
adressées à la presse anglaise. Le Sultan démentit.
Mais des paysans échappés aux massacres purent pas–
ser de Russie en Europe; M. Gabriel Hanotaux, alors
ministre, repoussa l'occasion de connaître le premier la
vérité, par le témoignage direct des victimes, qui s'ar–
rêtèrent à Paris avant d'aller à Londres, et dont la pré–
sence lui fut signalée par des personnes bien intention–
nées. La vérité se fit jour malgré l u i et souleva l'uni–
verselle horreur : une enquête tardive et menée dans
de très mauvaises conditions par des délégués français,
anglais et russes permit d'établir nominativement,
avec les circonstances de la mort, une liste de neuf
cents victimes, environ le quart du chiffre total : on y
lit les noms d'enfants de quatre mois.
Pendant la période des grands massacres, en
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1896,
le Sassoun fut comme oublié : on tuait ailleurs.
Depuis, selon une tactique ancienne, le gouvernement
turc essaie d'attirer dans la plaine, par promesses et
par menaces, les montagnards toujours méfiants ; i l
serait ainsi beaucoup plus facile de les exterminer en
bloc. La méthode fut employée ailleurs, sans succès.
En i858, un haut fonctionnaire turc disait au voyageur
français Guillaume Lejean, qui visitait le Monténégro :
«
Concevez-vous ces bandits de Monténégrins ! ils meu–
rent de faim dans leurs abominables cavernes; pour–
tant ils ne demandent qu'à travailler : comme labou–
reurs, comme jardiniers, comme marins même, ils sont
incomparables. Eh bien ! nous leur proposons de descen–
dre dans la plaine ; nous leur offrons la Zelta, oui, mon–
sieur, la plus belle plaine à cinquante lieues à la ronde.
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Fonds A.R.A.M