GRIGOR
NAREKATSI
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IV
Prière pour le jour de la mort
Aie pitié de moi, Seigneur, le jour où mon souffle va me
quitter, lorsque le pitoyable regard de mes yeux va se lamenter
vers les hauteurs, et que je verrai par l'esprit l'inévitable che–
min de la route fourmillante de périls, lorsque j'élèverai les
yeux au toit de ma demeure et j'y verrai la voie de la sortie, et
que, misérable, agonisant, les traits altérés, les doigts trem–
blants, la gorge ronflante, la poitrine gémissante, l'âme pleine
de la tristesse des multiples incertitudes, je pleurerai d'une
voix chétive sur mes fautes cachées dans le plus profond de
mon être... lorsque moi qui aujourd'hui ornemente mon style,
déclame avec fierté, me pavane et me rengorge, je tomberai
gisant, cadavre inanimé, parole coupée, mains raidies, membres
amollis, lèvres fermées, yeux clos ; planche immobile, tronc
mi-brûlé, statue insensible, image muette, substance sans
souffle, aspect misérable, forme lamentable, figure malheureuse,
visage pitoyable, apparence déplorable, langue qui s'est tue,
herbe desséchée, fleur effeuillée, beauté écoulée, lampe éteinte,
gorge vide, cœur devenu désert, clairon bouché, source tarie,
chair pâmée, ventre corrompu, tente dénouée, branches cassées,
articulations détachées, arbre coupé, racine sciée, maison aban–
donnée, champ moissonné, plante arrachée, réserve oubliée, or–
dure enterrée, objet de dégoût qu'on repousse, embarras qu'on
enlève, squelette qu'on méprise et qu'on foule aux pieds comme
une chose qui ne sert plus à rien.
V
Prière à la Sainte
Vierge
Et maintenant, après tant de désespoirs et de terribles dé–
couragements par les formidables violences des colères divines,
tourmenté par une tristesse infinie, je te prie, sainte Mère de
Fonds A.R.A.M