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RAPPORT DU D
R
LEPSIUS
chariots à bœufs sortaient en craquant de la ville,
chargés de femmes et d'enfants et de quelques rares
hommes échappés à la première déportation. Les
femmes et les jeunes filles portaient le voile à la turque,
pour ne pas exposer leurs visages aux regards des bou–
viers et des gendarmes, gens grossiers qui avaient été
amenés d'autres régions à Mersivan. Souvent les maris
et les frères de ces femmes se trouvaient à l'armée
et combattaient pour le gouvernement turc.
La panique en ville était terrible. Les gens sentaient
que le gouvernement était résolu à exterminer la race
arménienne, et se sentaient absolument impuissants à
résister. Ils étaient sûrs que les hommes seraient tués
et les femmes enlevées. Beaucoup de criminels avaient
été relâchés des prisons et les montagnes autour de
Mersivan étaient remplies de brigands. On craignait
que les enfants et les femmes ne fussent emmenés à
une certaine distance de la ville et laissés à la merci de
ces bandits. Quoiqu'il en soit, il y a des cas, que l'on peut
prouver, où des jeunes filles arméniennes attrayantes
furent enlevées par des fonctionnaires turcs de Mersi–
van. Un musulman racontait qu'un gendarme lui avait
offert de lui vendre deux jeunes filles pour un médjidieh
(3,60
mark). Les femmes croyaient qu'elles auraient à
souffrir pire que la mort, et beaucoup portaient du poi–
son dans leur poche pour s'en servir au besoin. Beau–
coup portaient avec eux des pioches et des pelles, pour
pouvoir ensevelir ceux qui mourraient en route comme
i l fallait s'y attendre.
Durant ce règne de la terreur, l'on proclama qu'il
était facile d'échapper à la déportation, et que qui–
conque embrasserait l'Islam pourrait rester paisible–
ment chez l u i . Les bureaux des employés qui enregis-.
Fonds A.R.A.M