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RAPPORT DU D" LEPSIUS
hommes au plus, tout le reste, femmes et enfants. Quel–
ques-unes des femmes étaient devenues folles. Beau–
coup criaient : « Sauvez-nous ! nous deviendrons mu–
sulmanes, ou allemandes, ou tout ce que vous voudrez ;
sauvez-nous seulement : ils nous conduisent maintenant
à Kémagh pour nous y couper le cou ! » Et elles faisaient
un geste significatif. D'autres trottaient, silencieux et
apathiques, avec leurs quelques biens sur le dos, et te–
nant leurs enfants par la main. D'autres encore nous
suppliaient de sauver leurs enfants. Comme nous nous
approchions de la ville, de nombreux Turcs vinrent à
cheval pour chercher des enfants et des jeunes filles.
A.
l'entrée de la ville, où les médecins allemands ont
aussi leurs maisons, la caravane fit halte un instant
avant de reprendre le chemin de Kémagh. Ici ce fut
simplement un marché d'esclaves ; seulement on ne
payait rien. Les mères semblaient donner volontiers
leurs enfants ; d'ailleurs la résistance n'eût servi à rien. »
Quand, le 21 juin, les deux infirmières de la Croix-
Rouge allemande laissèrent Erzingian, elles purent
voir, en chemin, encore mieux le sort des déportés.
«
En chemin, nous rencontrâmes un grand convoi d'ex–
pulsés qui avaient quitté tout dernièrement leurs vil–
lages et se trouvaient encore en bon état. Nous avons dû
stationner longtemps pour les laisser passer. Nous n'ou–
blierons jamais ce spectacle. Un petit nombre d'hommes,
le reste des femmes et une foule d'enfants. Beaucoup
parmi eux avaient les cheveux blonds et de grands yeux
bleus qui nous regardaient avec le sérieux de la mort et
une telle noblesse inconsciente qu'ils semblaient déjà
les anges du jugement. Ils s'en allaient dans un silence
complet, les petits et les grands, jusqu'aux vieilles
femmes décrépites qui se tenaient avee peine sur les
Fonds A.R.A.M