LES FAITS
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filles qui avaient dû embrasser l'Islam. Sur la route de
Josgad, nous rencontrâmes six femmes qui portaient le
féredjé (le voile) avec leurs enfants dans les bras. Les
gendarmes, ayant soulevé le voile, découvrirent que
c'étaient des hommes habillés en femmes, et les fusil–
lèrent sur place. Nous atteignîmes Constantinople après
un voyage de 32 jours ».
Sur la condition et le sort des caravanes de déportés
qui traversèrent Erzingian, venant des régions de Baï–
bourt et d'Erzeroum, nous possédons encore le témoi–
gnage des deux soeurs de charité allemandes d'Erzin-
gian :
«
Le soir du 18 juin, nous nous promenions devant
notre maison, avec notre ami, le pharmacien Gehlsen.
Nous y rencontrâmes un gendarme qui nous dit qu'à dix
minutes de l'hôpital, une foule de femmes et d'enfants
devaient passer la nuit. I l avait été lui-même l'un des
conducteurs du convoi et racontait d'une façon émou–
vante comment les déportés avaient été traités sur
tout le chemin. « Kessé ! Kessé ! suruyolar ! » (on les
pousse de l'avant en en tuant toujours). I l avait, racon–
tait-il, tué chaque jour de 10 à 12 hommes, et jeté les
cadavres dans les ravins. Quand les enfants criaient ou
pleuraient et ne pouvaient plus marcher, on leur brisait
le crâne. On avait tout enlevé aux femmes et, à chaque
nouveau village, on les violait de nouveau. « J'ai moi-
même fait ensevelir trois cadavres de femmes nus », con–
clut-il dans son récit; « que Dieu m'en tienne compte ! ».
Au matin suivant, de très bonne heure, nous apprîmes
que ces condamnés à mort repartaient. Nous et M. Gehl–
sen, nous nous joignîmes à eux et les accompagnâmes
pendant une heure, jusqu'à la
Yille,
C'était d'une dé–
tresse indicible. C'était une grande foule. Deux ou trois
LEPSIUS
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Fonds A.R.A.M