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RAPPORT DU D
r
LEPSIUS
gendarme, en lui montrant un Arménien pour qu'il le
tuât. Le gendarme lui demanda si elle ne voudrait pas
le tuer elle-même. Elle répondit: « Pourquoi pas? »
Elle tira un revolver de sa poche et le tua. Chacune
de ces femmes turques avait avec elle cinq ou six jeunes
filles arméniennes de 10 ans et au-dessous. Les Turcs
ne voulaient jamais prendre les enfants mâles, ils les
tuaient quel que fût leur âge. Ces femmes voulaient aussi
me prendre ma fille, mais elle ne voulut pas se sépa–
rer de moi. Finalement, on nous prit toutes deux dans
les voitures, quand nous eûmes promis de devenir mu–
sulmanes. Aussitôt que nous fûmes montées dans l'araba
elles se mirent à nous enseigner ce qu'on doit faire
quand on est musulman, et elles changèrent nos noms
chrétiens en d'autres, musulmans.
Les horreurs les plus grandes et les plus indicibles
étaient réservées pour notre arrivée dans la plaine d'Er–
zéroum, et au bord de l'Euphrate. Les cadavres mutilés
de femmes, de jeunes filles et de petits enfants, faisaient
frémir, Les bandits causaient de l'effroi même aux
femmes et jeunes filles qui étaient avec nous. Leurs cris
s'élevaient jusqu'au ciel. Arrivés à l'Euphrate, les gen–
darmes jetèrent dans le fleuve tous les enfants au-des–
sous de 15 ans qui restaient. Ceux qui savaient nager
étaient fusillés tandis qu'ils luttaient contre les flots.
Quand nous atteignîmes Enderessi, sur la route de Sivas,
les collines et les plaines étaient parsemées de cadavres
enflés et noircis qui remplissaient l'air de leur odeur
et l'empestaient.
Après sept jours, nous arrivâmes à Sivas. I l n'y res–
tait plus un seul Arménien en vie. Les femmes turques
nous conduisirent, moi et ma fille, avec elles aux bains,
et nous montrèrent beaucoup de femmes et de jeunes
Fonds A.R.A.M