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RAPPORT DU D
R
LEPSIUS
nia, ils n'avaient rien mangé depuis trois jours. Les
Grecs et les Arméniens de la ville réunirent leurs eSorts
pour leur fournir de l'argent et des vivres, mais le vali
de Konia a refusé de laisser parvenir quoi que ce soit
aux exilés : « Ils ont tout ce qu'il leur faut » préten–
dait-il. Ils sont donc restés trois autres jours sans
nourriture. Alors seulement le vali leva sa défense,
et des vivres purent leur être distribués sous la surveil–
lance des zaptiéhs. Celui dont je tiens ces nouvelles m'a
raconté que, dans le trajet de Konia à Karabounar, une
jeune femme arménienne a jeté dans un puits son en–
fant nouveau-né qu'elle ne pouvait plus nourrir. Une
autre aurait jeté le sien par la portière du train. »
Au 21 mai, le même témoin oculaire écrit :
«
Le troisième et dernier convoi de Zeltounlis est passé
par notre ville le 13 mai vers sept heures, et j'ai pu
parler avec quelques-uns d'entre eux dans le Khan où ils
étaient logés. Ils avaient tous marché à pied et durant
deux jours, où i l avait plu à verse, ils n'avaient rien
mangé. J'ai vu une pauvre petite qui avait marché pieds
nus plus d'une semaine avec un tablier en lambeaux
pour tout vêtement. Elle tremblait de froid et de faim
et les os lui sortaient littéralement du corps. Une dou–
zaine d'enfants ont dû être abandonnés sur la route, parce
qu'ils ne pouvaient marcher. Sont-ils morts de faim"? Pro–
bablement ! Mais on n'en saura jamais rien. J'ai vu aussi
deux pauvres vieilles filles de Zeïtoun. Elles apparte–
naient à une riche famille, mais elles ne purent rien em–
porter avec elles sauf le vêtement qu'elles portaient.
Elles avaient réussi à cacher cinq ou six pièces d'or dans
leurs cheveux. Malheureusement pour elles, le soleil
fit briller le métal pendant leur marche, et son éclat
attira les regards d'un zaptieh. Celui-ci ne perdit pas
Fonds A.R.A.M