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L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
Effectivement, au mome n t où la première Assemblée de l a Société
des Nations était appelée à statuer sur la demande de l'Arménie,
la situation politique de celte dernière avait empiré à u n tel p o i n t
que son existence même se trouvait menacée.
L'occupation anglaise de la Transcaucasie après l'armistice de Lem-
nos, d'ailleurs de trop courte durée, n'avait p u mettre fin aux i n t r i g u e s
pan t ou r an i e nn e s e t pan i s l ami s t e s dan s ce pa y s . Et, à la suite d u départ
des Anglais, en 1920, ces i n t r i gu e s avaient na t u r e l l emen t redoublé de
v i gueu r . I l en résulta que l a petite Arménie se trouva chaque j o u r
serrée davantage par l'étreinte de fer de ses ennemis irréductibles, les
Tu r c s , les Tartares e l l e s Bolchevistes. Ayant accueilli chez elle e n v i –
ron 298.000 Arméniens échappés aux massacres de Tu r qu i e , l'Arménie
surpeuplée et dévastée avait en même temps à l u t t e r contre des fléaux
toujours plus formidables : les épidémies et la famine. Elle avait sans
doute, pour résister à cette dernière épreuve, reçu quelques secours de
l'Angleterre et surtout de l'Amérique, mais elle n'avait trouvé au c un
appui réel chez les Puissances pour écarter les dangers extérieurs q u i
menaçaient s o » indépendance. Loin de s'améliorer, la situation deve –
nait même pour l'Arménie de plus en plus c r i t i q u e .
Dès le mois de ma i 1920, le gouvernement des Soviets faisait une
tentative pour provoquer, par ses agents, u n mouvement bolcheviste
dans le pays. Cette insurrection fut bien réprimée par le gouvernement
d'Erivan. Mais les troupes rouges, qu i avaient déjà envahi la République
de l'Azerbeïdjan, occupèrent en j u i n et en août les régions l imi t r ophe s
de l'Arménie (Karabakb, Zanghezour, Nakhitchevan, Kasakh). Et de la
sorte se trouva assurée une liaison t e r r i t o r i a l e entre l a Russie r oug e
et la Tu r qu i e kémaliste. A la vérité, un communiqué d u g ouv e r nemen t
des Soviets déclarait que cette occupation avait pou r bu t « la suspen–
sion des sanglants conflits entre l'Arménie et l'Azerbeïdjan » et que le
gouvernement de Moscou u t i l i s e r a i t ses relations avec celui d'Angora
pour assurer * au peuple arménien la possibilité de se procurer certains
territoires d'Asie Mineure, indispensables à son développement p o l i t i –
que » (1). Ce communiqué n'était en réalité q u ' un acte d ' hypo c r i s i e .
Les Arméniens qu i auraient pu fonder sur l u i quelques espérances ne
tardèrent pas longtemps à s'en apercevoir. En effet, presque s i mu l t a –
nément, le gouvernement d'Angora, au mépris aussi bien d u traité de
Sèvres que de l'armistice du 30 octobre 1918, présentait à la Républi–
que arménienne u n u l t i ma t um exigeant l'évacuation des territoires a t t r i -
(1)
Bureau d'information de la Délégation de la République arménienne du 15 sep–
tembre 192), n° 1.
Fonds A.R.A.M