62
L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
crimes puissent profiter à leurs auteurs et que le résultat que se pro–
posait leur abominable dessein d'assurer la majorité et la suprématie
aux Musulmans soit atteint.
La voix de tous les Arméniens, des vivants
et des morts,
doit être entendue » (1). Et, plus l o i n , i l étaye celte thèse
sur l'argumentation su i v an t e :
«
Les questions ethnographiques de l'Empire turc ne peuvent pas être envisa–
gées et étudiées avec les mêmes méthodes que celles des pays européens. En
voulant appliquer le principe des nationalités en Turquie d'Asie pour la création
d'unités nationales politiques, i l serait absolument illogique de prendre pour
base l'aspect ethnographique des diverses régions. I l n'y a en Turquie que des
questions politiques; et l'aspect ethnographique qu'une partie quelconque de
cet Empire présente à un moment donné n'est que l'effet d'une situation p o l i t i –
que. Or, on ne peut pas se baser sur l'effet quand on veut supprimer l a cause.
Jusqu'à la conclusion du traité de Berlin, l'Arménie, bien qu'opprimée pendant
cinq siècles, présentait une population arménienne compacte, formant une
majorité absolue. Depuis l a conclusion d u traité de Berlin, qu i devait garantir
aux Arméniens la sécurité de leur vie et de leurs biens, l'aspect ethnographique
de l'Arménie a été transformé radicalement par l a violence et le massacre. En
comparant les statistiques dressées par le Patriarcat arménien en 1882 et en
1912,
on trouve qu'en 1882 le nombre des Arméniens en Turquie était évalué à
2.600.000
dont 1.680.000 dans les six vilayets, tandis qu'en 1912, ces chiffres
tombaient respectivement à 2.100.000 et 1.018.000. On trouve donc une d i m i –
n u t i o n de 500.000 âmes dans le n omb r e total des Arméniens de Turquie. E n
réalité cette d i m i n u t i o n dans les six vilayets a été de 662.000, ce q u i signifie
qu'en dehors de l'Arménie le n omb r e des Arméniens de Turquie s'était aug–
menté de 162.000. C'est une preuve éclatante d u fait que la question ethnogra–
phique, en Turquie, n'est qu'une fonction du degré d'acuité de la question
politique : le fait qu'en trente ans (1882-1912) le nombre des Arméniens des six
vilayets, au lieu d'augmenter, a diminué de 662.000, tandis que celui des Armé–
niens, dans les antres parties de la Turquie, a augmenté de 162.000 âmes, n'est
dû qu'à ce que l'oppression a été moins féroce dans les autres parties de la T u r –
quie que dans les six vilayets. Pour revenir à la d i m i n u t i o n totale d u nombre des
Arméniens, peut-on croire que cette d i m i n u t i o n n'ait été que de 500.000 ? Evi–
demment non : une race prolifique comme l'arménienne aurait augmenté par la
natalité, pour cette période de trente ans, d ' un nombre q u i peut être évalué à un
m i n i m u m de 500.000. I l s'ensuit que le nombre des Arméniens supprimés par l e
8
Turcs, durant cette période de trente ans, a été en réalité d ' un m i l l i o n , en éva–
luant à 100.000 personnes l'émigration provoquée par la violence.
Pendant cette guerre, plus d ' un m i l l i o n d'Arméniens ont péri. Donc, depuis
le traité de Berlin, par lequel les Puissances prenaient u n solennel engagement
de g a r a n t i r la sécurité aux Arméniens, plus de deux millions de ceux-ci ont été
tués par les Turcs. Les mêmes Puissancts ne pourraient maintenant nier le
(1)
Mémoire arménien, p. 4.
Fonds A.R.A.M