DEVANT LE PROBLÈME ARMÉNIEN
39
Mais les Jeunes-Turcs tinrent si peu leur parole que, malgré la d i v i –
sion toujours croissante entre la T r i p l e Alliance et la T r i p l e Entente,
une nouvelle intervention d'humanité en faveur des Arméniens
s'annonça dès 1912. L ' i n i t i a t i v e en fut prise par le gouvernement
russe.
Voici comment s'exprime, sur l'état de la question arménienne à
ce moment, une dépêche, datée d u 26 novembre 1912 et émanant
de M. de Giers, ambassadeur de Russie à Constantinople, dépêche
»
q u i ouvre le Livre orange russe sur les Réformes en Arménie publié
en 1915 (1) :
«
Depuis les mémorables années 1894-1896 où les massacres barbares des
Arméniens ensanglantèrent l'Asie Mineure et Constantinople, l a situation ne
s'est aucunement améliorée. Le décret de réformes pour les provinces arménien–
nes, promulgué par le Sultan Abdul-Hamid le 20 octobre 1895, sous la pression
de la Russie, de la France et de l'Angleterre, est resté lettre mo r t e . La question
agraire devient de j o u r on j o u r plus aiguë : l a plus grande partie des terres a
été usurpée ou est en train de l'être par les Kurdes, et les autorités, au lieu de
s'opposer à ces usurpations, les protègent et les facilitent. Tous nos consuls
s'accordent à dénoncer les brigandages et rapines incessants des Kurdes, les
meurtres commis par eux sur les Arméniens, et les conversions forcées des f em–
mes arméniennes à l'Islamisme ».
Une pareille situation ne pouvait laisser indifférente l a Russie : cette
puissance, en effet, était l imi t r o ph e des provinces turques en proie à
une anarchie grandissante et elle possédait elle-même une popu l a t i on
arménienne q u i la conjurait de prendre la défense de ses congénères
ottomans. Poussé autant par un sentiment d'humanité que par le souci
de ses intérêts, le gouvernement russe commença par faire
à
la T u r q u i e
des représentations amicales en vue de l'amener
à
procéder, de sa propre
initiative, aux réformes nécessaires pour amener la paix dans les p r o v i n –
ces arméniennes voisines des frontières russes. Ces démarches n'eurent
cependant d'autre suite que les tergiversations habituelles de la Porte et
l'élaboration d ' un projet de réformes qu i était un pas en arrière en
comparaison'avec l'ancien décret d u 20 octobre 1895. En présence de
l'évidente mauvaise foi de la Porte, le gouvernement russe, q u i ne pour–
suivait aucune visée particulière, crut le moment venu pour une action
c ommune des Puissances et adressa, le 24 ma i 1913 (2), aux gouver–
nements des autres Grandes Puissances une invitation
à
discuter les
r
(1)
Sur les pourparlers entre la Turquie et les Puissances au sujet des réformes en
Arménie, V . le Livre orange russe et notre ouvrage
Le tort de l'Empire
ottoman,
p. 206-242.
(2)
Livre orange, n
0
32.
Fonds A.R.A.M