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L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
uniforme, préparé depuis des années, et dont l'exécution a été accélérée
par la Sublime Porte sous l a menace des réformes arméniennes i mp o –
sées par les Puissances (1).
Nul n'ignore l'attitude de Guillaume I I devant les crimes d u Sultan
assassin dont i l ne tarda pas à devenir l ' ami et l'allié. Mais i l faut avouer
que les autres Puissances manquèrent également, dans cette occasion,
de l'énergie et de l'autorité dont elles avaient fait si souvent preuve, en
faveur d'autres peuples opprimés de la Tu r qu i e . La d i v i s i on , toujo u r s
plus accentuée, des grands États européens en deux camps ho s t i l e s
paralysait l'intervention d'humanité. Les réformes, accordées pa r A b d u l -
Hamid sous la pression de la France, de l'Angleterre et de l a Russie,
restèrent sur le papier, et la masse arménienne, en sortant de la terrible
crise, se retrouva sous l'ancien régime d'exploitation systématique et
d'extermination i nd i v i due l l e .
Devant la passivité des Puissances, les intellectuels arméniens f on –
dèrent une dernière espérance Sur une entente loyale avec les libéraux
turcs q u i commençaient à s'organiser contre la tyrannie d'Abdul-Hamid
et qu i inscrivaient sur leur drapeau l'égalité absolue de tous les citoyens
de l'État o t t oman . Les révolutionnaires arméniens Dachnaktzakan furent
les fidèles compagnons de lutte des Jeunes-Turcs, et, au Congrès que
t i n t , à Paris, en décembre 1907, le Comité «
Union et Progrès
>, les
Arméniens seuls, de tous les allogènes ,de l'Empire ottoman, étaient
représentés. Aussi le rétablissement de la Constitution en 1908 f u t - i l
salué par les Arméniens avec une joie débordante et avec la ferme
résolution de contribuer au ma i n t i en d ' un nouvel État, non p l us
turc, mais vraiment ottoman. Malheureusement, en 1909, la Tu r qu i e
répondit à cet enthousiasme par les
Vêpres
ciliciennes.
Les massacres d'Adana, qu i coûtèrent la vie à 20.000 victimes e n v i r on ,
sont en effet la sombre chaîne q u i lie les boucheries d'Abdul-Hamid de
1895
aux tueries organisées par les Jeunes-Turcs, en 1915. Commencés
pendant le retour éphémère au pouvoir du Sultan après le coup d'Etat
réactionnaire d u 31 mars 1909, i l s furent continués après l a destitution
d'Abdul-Hamid, et après l'arrivée à Adana des troupes jeunes-turques
rouméliotes. L'ancien et le nouveau régime turcs communièrent dans la
même haine de l'Arménien. Les sanctions furent absolument insuffisan–
tes. Et cependant, devant les protestations d'amitié des grands chefs j e u –
nes-turcs et devant leur promesse formelle qu'une nouvelle ère de fra–
ternité commencerait entre les deux peuples, les hommes politiques
arméniens résolurent de faire encore une fois crédit à l a Jeune-Turquie
et de m3ttre la tragédie cilicienne sur le compte de l'ancien régime.
(1)
V. Lepsius,
Arménien uni Europa,
1896,
p . 20 et 64.
Fonds A.R.A.M