DEVANT L E PROBLÈME ARMÉNIEN
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quable Livre jaune français (1893-1897) q u i les a fait connaître au monde
civilisé dans toute leur hideur et atrocité. 100.000 Arméniens, hommes,
femmes et enfants, périrent dans cette catastrophe déchaînée par Abdul-
Hamid ; près de 2.500 villages furent dévastés, des centaines d'églises et
de cloîtres détruits o u convertis en mosquées, près d ' un d em i -m i l l i o n
d'Arméniens précipités dans la misère. A Conslantinople même, sous
les yeux des représentants impuissants de l'Europe, à deux reprises, les
autorités turques organisèrent d'effroyables boucheries.
Les massacres n'étaient provoqués par aucune insurrection armé–
nienne. Certes, l a politique violemment persécutrice adoptée par A b d u l -
Hamid vis-à-vis de la masse paysanne arménienne avait, comme de
r a i s on , détourné une grande partie des intellectuels arméniens de
l'ancienne collaboration avec les Turcs et les avait poussés à créer des
sociétés secrètes caressant les rêves d'autonomie ou même d'indépen–
dance (1). Mais cette réaction naturelle contre u n régime odieux n'avait
pas pris le caractère d'une révolte. Comme le d i t , sur la base d'une en –
quête personnelle en Tu r qu i e , le D
r
Lepsius, u n des rares Allemands
q u i aient flétri les crimes d'Abdul-Hamid, dans toute l'Arménie les
Arméniens n'avaient rien fait q u i justifiât la sentence prononcée contre
eux. L'extermination d u peuple arménien a été le résultat d ' un plan
(1)
Voici comment l'ambassadeur de France, M. Paul Cambon, caractérise ce mouve–
ment dans son remarquable rapport du 20 février 1894 (Livre jaune, 1893-1897, n " 6) :
A cette époque (1878) le réveil de la nationalité arménienne ne s'était pas encore
produit; l'idée de l'indépendance arménienne n'existait pas, ou, si elle existait, c'était
seulement dans l'esprit de quelques lettrés réfugiés en Europe. La masse .souhaitait
simplement des réformes et ne rêvait qu'une administration régulière sous la domina–
tion ottomane.
L'inaction de la Porte a découragé les bonnes volontés des Arméniens. Les réformes
promises n'ont pas été exécutées. Les exactions des fonctionnaires sont restées scan–
daleuses ; la justice n'a pas été améliorée, la création des régiments kurdes Hamidiés,
soi-disant destinés à surveiller les frontières, n'a pas été autre chose que l'organisation
officielle du pillage aux dépens des Chrétiens arméniens.
«
C'est vers 1885 qu'on entendit parler pour la première fois en Europe d'un mouve–
ment arménien
Il fallait faire pénétrer dans la masse de la population arménienne
deux idées très simples, l'idée de la nationalité et l'idée de la liberté. Ces Comités se
chargèrent de les répandre ; les Turcs, par leur système inintelligent de persécutions
et d'exactions, se chargèrent de les faire valoir. Peu à peu, ils se sont rendus odieux
et insupportables à des populations qui s'étaient accoutumées à leur esclavage, et
comme s'il ne leur suffisait pas de provoquer ce mécontentement, les Turcs se sont
plu à le grossir en traitant les mécontents de révolutionnaires et les protestations de
complots.
«
A force de dire aux Arméniens qu'ils complotaient, les Arméniens ont fini par com–
ploter ; à force de leur dire que l'Arménie n'existait pas, les Arméniens ont fini par
croire à la réalité de son existence, et ainsi, en quelques années, des sociétés secrètes
se sont organisées, qui ont exploité en faveur de leur propsgande les vices et les fautes
de l'Administration turque et qui ont répandu, à travers toute l'Arménie, l'idée du
réveil national et d'indépendance ».
Fonds A.R.A.M