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L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
réguliers au gouvernement, mais encore des redevances supplémentai–
res aux Beys kurdes de leurs villages, pour trouver aide et protection
contre les Beys voisins, redevances consistant dans la prestation
annuelle (le
hafir)
d'une partie de leur récolte et de leur bétail et même
d'argent en nature, et dans les impôts occasionnels « omme le
hala
(
somme versée pour la permission de marier sa fille) (1).
T o u t autre était la position des Arméniens dispersés dans tout l ' Em–
pire, que les Turcs considéraient comme un élément très utile pou r leur
État. Ils profitaient de l'activité des banquiers, des marchands et des
artisans arméniens et se servaient même, très souvent, dans leurs a d –
ministrations, de la finesse de l'esprit arménien. Comme, d'autre part,
les paysans du plateau arménien supportaient leur pénible situation
sans tenter des révoltes, i l arriva que, vers le m i l i e u dit X I X
e
siècle, les
Arméniens étaient même généralement honorés par les Turcs d u sur–
nom de
nation fidèle
(
milleti-sadyka), s u r nom les d i s t i nguan t dçs autres
nations qu i s'efforçaient de secouer l eu r j o u g . I l est d'ailleurs certain
qu'en dehors des provinces orientales, les Arméniens occupaient dans^
le pays une situation privilégiée. En 1863, la nation arménienne se v i t
même accorder u n nouveau statut, comportant une Assemblée natio–
nale, composée de 140 membres dont 120 élus directement par le peu–
ple. « Grâce à leur talent, dit le Livre b l eu anglais de 1916 (2), et à leur
tempérament, la plus grande partie de l ' i ndus t r i e , d u commerce, de la
finance et des travaux intellectuels de Tu r qu i e était entre les mains des
Arméniens » . Les Arméniens pouvaient aspirer à partager partout la
domination de l'Empire avec les Turcs q u i , eux, manquaient de tous les
talents requis pour l'exploitation et l ' admi n i s t r a t i on du pays.
La guerre de Crimée marqua le commencement d'une nouvelle période
dans les relations turco-arméniennes. L'armée turque battant en retraite
devant l'armée russe dévasta les villages arméniens et se l i v r a à toutes
sortes d'atrocités ; et, après la guerre, les Çircassiens émigrés de Russie
se j o i g n i r e n t aux Kurdes pour exploiter les paysans arméniens. En
1867,
i l y eut, à Zeitoun, u n soulèvement, qu i amena l'intervention fran–
çaise.
Pendant la gue r r e russo-turque de 1877-1878, l'Arménie fut mise de
nouveau à feu et à sang par les soldats turcs et les brigands ku r d e s .
Les troupes russes ayant conquis l a majeure partie des provinces armé–
niennes, la Sublime Porte craignit pendant u n moment que la Russie
(1)
V. te Rapport collectif des délégués consulaires adjoints à la Commission d'en–
quête
sur
l'affaire de Sassoun, daté de Mouch, le 21 juillet 1895 (Livre jaune,
Affaires
arméniennes,
1893-1897,
p.
97-98).
(2)
V.
la traduction française autorisée, p. 93.
Fonds A.R.A.M