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L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
D'ailleurs, cette intervention tardive ne put éviter la guerre. La Porte,
suivant sa vieille tactique, répondit aux Puissances qu'elle venait « de
prendre de son propre mouvement la résolution > d'introduire des ré–
formes, eu mettant en application le vieux projet de l o i de 1880, élaboré
par une Commission européenne et jamais appliqué. D'autre part, les
États balkaniques refusèrent de confier l'action entreprise par eux aux
seules Grandes Puissances. I l s leur répondirent en insistant sur la né–
cessité « de réformes plus radicales et plus définies » et adressèrent à la
Sublime Porte une Note (12 octobre 1912) où i l s l'invitèrent « à procéder
immédiatement, de concert avec les Grandes Puissances et les États b a l –
kaniques, à l'élaboration et à l'introduction dans la Tu r qu i e d'Europe des
réformes prévues par l'article 23 du traité de Be r l i n , en les basant sur le
principe des nationalités ethniques et en en confiant l'application à un
Conseil supérieur composé de Chrétiens et de Musulmans en nomb r e
égal sous la surveillance des ambassadeurs des Grandes Puissances et
des ministres des quatre États balkaniques à Constantinople ». La Porte
n'ayant pas répondu à cette Note, les Étals balkaniques l u i déclarèrent
la guerre. La Turquie subit une défaite écrasante et, en conséquence,
une nouvelle amputation : elle perdit toute la Macédoine et une partie
de la Thrace.
Cette terrible leçon ne profita cependant nullement aux Jeunes-Turcs.
Evincés au cours de la guerre du pouvoir par une conspiration d'offi–
ciers mécontents, ils redevinrent bientôt les maîtres d u pays et restau–
rèrent leur régime de violences et de persécutions. Dépossédés de l à
majeure partie de leurs possessions d'Europe, i l s se rabattirent sur les
populations de l'Asie. Les Grecs de l'Anatolie se virent en proie à des
déportations et à des massacres; le ma r t y r e des Arméniens continuait ;
et les Arabes se voyaient vile retirer les quelques bribes de réformes
concédées dans u n moment de désarroi. Les Puissances de l'Entente
s'épuisaient en représentations inefficaces.
A i ns i donc le régime d u Comité, devant lequel s'effaçaient complète–
ment le Parlement et le faible Sultan lléchad, était devenu une simple
contrefaçon de celui d ' Abdu l -Hami d . L'hostilité à tout progrès ; le des–
potisme et la terreur comme seuls principes de g ouv e r nemen t ; l'octroi
de réformes sous la seule pression étrangère et avec l'intention bien
arrêtée de ne pas les exécuter ; la persécution et le massacre des
Chrétiens jusqu'à l'intervention des Puissances — voilà les traits c om–
muns des deux régimes. Quant à la politique étrangère du Comité, elle
ne se distinguait guère de celle d u Sultan que par un pantouranisme
mi l i t an t qu i venait prêter son appui au panislamisme assez théorique
d'Abdul-Hamid. La Grande Guerre de 1914 sembla fournir aux chefs des
Fonds A.R.A.M