DEVANT LE PROBLÈME ARMÉNIEN
19
En face de ce sinistre despote, l'intervention d'humanité dut faiblir
pendant u n certain temps, surtout vers la fin d u XIX* siècle, grâce à l a
défection de l'Allemagne. La nouvelle politique impérialiste de cette
puissance visait, en effet,
à
une mainmise complète sur la Tu r qu i e . Celte
politique était donc naturellement hostile aux aspirations nationales des
allogènes — forces centrifuges d ' un Empire qu'elle désirait conserver
tout entier à l'exploitation et à la colonisation allemandes ; elle craignait
l'effet dissolvant des réformes. Très étrangère
à
l'ambition d'exercer une
intervention d'humanité séparée en faveur des Chrétiens, comme autre–
fois la Russie, l'Allemagne rêvait une tutelle particulière sur u n État
turc, inféodé au pangermanisme (1).
La Tu r qu i e , à laquelle n'échappaient peut-être pas les visées l o i n –
taines de la politique allemande, ne manqua pas, en attendant, de p r o –
fiter de ses manifestations immédiates. La réaction collective des
Grandes Puissances fut excessivement faible lors des massacres armé–
niens organisés par le Sultan en 1895 ; et le décret sur les réformes
arméniennes, qu i ne fut rendu que sur les instances de la France, de
l'Angleterre et de la Russie, ne fut jamais appliqué par le Sultan. L ' A l –
lemagne et son alliée l'Autriche se retirèrent également d u concert
européen dans l a question Cretoise, et ce furent la France, la Grande-
Bretagne, la Russie et l'Italie q u i , en s'érigeant en protectrices de la
Crète, réussirent
à
doter l'île d'une autonomie complète (1S99).
Cependant cette éclipse de l'intervention d'humanité collective fut de
courte durée et l'intimité croissante de Guillaume 11 et d'Abdul-Hamid
ne put empêcher une nouv e l l e i humi l i a t i on de l ' Emp i r e . Ce fut en Macé–
doine, province replacée sous le j o u g turc par le traité de Berlin, et où
la situation des Chrétiens de pénible était devenue intolérable, que l ' i n –
tervention d'humanité du t prendre les formes les p l us restrictives de la
souveraineté t u r que . Après l'insurrection de 1903, étouffée dans le sang,
l'Europe introduisit dans cette province un contrôle européen, auquel
l'Autriche p r i t une part active et auquel l'Allemagne elle-même ne p u t
complètement rester étrangère. L'Europe imposa
à
la Porte la nomina–
tion d ' un inspecteur général pour la Macédoine, l u i adjoignant doux
agents ciyils, l ' un russe, l'autre autrichien, représentant les deux g r ou –
pements des Grandes Puissances. Une
gendarmerie
internationale
fut
chargée d uma i n t i en de l'ordre et une
Commission financière,
où étaient
représentées toutes les six Puissances, était créée près l'inspecteur
(
t) Comp. sur la politique allemande en Turquie, André C.hëradame,
Le plan panger-
manisle démasqué ;
Friedrich Naumann,
Mïtteleuropa
;
Comte Heventlow,
Ueuts-
chlands atiswai lige Polilik
;
Mandelstam,
Le sort de l'Empire ottoman,
1917,
p. 526-
547.
Fonds A.R.A.M