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LA SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
et matériel dans l a Tu r qu i e de demain, elle espérait, par une entente
cordiale avec sa nouvelle voisine, détourner de ses colonies le danger
d'une propagande révolutionnaire panislamiste dirigée d'Angora. Elle
était, d'autre part, en Asie, plus que ses Alliés, exposée à l'action m i l i –
taire t u r que , alors que ses relations avec l'Allemagne l u i dictaient une
extrême vigilance sur ses frontières occidentales et l u i interdisaient
de grands efforts militaires sur le front kémaliste. L'Italie, hantée elle
aussi par l e danger panislamiste, croyait également possible d'y parer
par un rapprochement avec l'Empire ottoman, et n'était nullement dis–
posée à des sacrifices d'hommes ou d'argent pour faire exécuter un traité
que son m i n i s t r e des affaires étrangères avait pub l i queme n t critiqué à
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Va veille même de sa signature. Enfin, les Étals-Unis, qu i d'ailleurs
n'avaient pas été en état de guerre avec la Tu r qu i e , s'abstinrent de
toute intervention active. Seul, son Présidentrendit la sentence arbitrale
que l u i avait demandée le traité de Sèvres en adjugeant à l'Arménie une
grande partie des vilayets arméniens de la Tu r qu i e .
Si on ajoute à ces considérations la lassitude naturelle qu i s'était
emparée de tous les peuples après les efforts surhumains de l a Grande
Guerre, et si, en outre, on se rappelle que l'Angleterre elle-même comp–
tait, en grande partie, pour l'exécution d u traité de Sèvres, sur l'armée
grecque, o n peut aisément comprendre p ou r quo i l a chute de M. Véni-
zelos et l'avènement de Constantin furent le signal du revirement officiel
de la politique de l'Entente vis-à-vis de la Turquie. Devant l'écroulement
de la Grèce vénizeliste, l ' u n des piliers principaux de sa po l i t i que , l ' A n –
gleterre crut devoir se ranger du côté des partisans de la révision par–
tielle d u traité de Sèvres.
Nous avons caractérisé ( I ) le traité de Sèvres en disant q u ' i l avait été
la dernière manifestation de l'intervention d'humanité en Tu r qu i e . Ce
traité réalisa en effet l ' i n t e n t i on qu'avaient les puissances dès le début
de la Grande Guerre de libérer, sous telle ou telle forme, les races n o n -
turques de la domination ottomane. Car, que celte libération abou t i t à
l'indépendance complète des races opprimées ou à leur placement p r o –
visoire sous le mandat ou même sous le gouvernement direct d'une
puissance civilisée, ce changement de statut politique était, en tout cas,
pour ces peuples une émancipation d u j o u g sanglant qu i les o p p r i ma i t .
Malheureusement, s ' i l correspondait ainsi aux buts de guerre généreux
proclamés par les Alliés pendant la guerre mondiale, l'acte de Sèvres
n'avait pas su régler le sort des peuples émancipés à la satisfaction de
tous les libérateurs. I l avait, d'autre part, disposé de territoires q u i , par
(
I) V. ci-dessus, p. 30 et suiv.
Fonds A.R.A.M