DEVANT L E PROBLÈME ARMÉNIEN
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Les accords secrets conclus ainsi par les puissances en ce q u i concerne
leurs zones d'influence dans la Tu r qu i e d'après guerre ont été, après leur
publication, dénoncés de différents côtés comme les preuves matérielles
de l'impérialisme des États qu i disaient mener la guerre pour le t r i omphe
de la justice et la liberté des peuples. I l est, certes, difficile de nier que
ces accords secrets révélaient u n esprit q u i était l o i n de celui des décla–
rations officielles qu i avaient précisé les buts de guerre de l'Entente,
Ces actes assuraient en effet aux Puissonces alliées de l'Entente de
grands avantages économiques et, comme tels, avaient u n caractère
«
impérialiste » très prononcé : l'Arménie, en particulier, était, par l'ac–
cord Sazonow-Paléologue, tout simplement partagée entre la Russie et
la France. Mais, en toute justice, on d o i t aussi reconnaître que les Armé–
niens, les Syriens et les Arabes q u i , en vertu de ces actes, passaient du
j o u g turc sous 1' « influence » plus ou moins directe des puissances c i –
vilisées ne pouvaient que gagner au change. Comme l'a très j us t eme n t
dit le 16 mai 1917, à la Chambre des communes, l o r d Robert Cecil, en
parlant des Arméniens, « tout changement, même la plus complète an –
nexion impérialiste, serait u n bienfait pour le peuple q u i a souffert de
pareils crimes ». De son côté, M. Br i and a, le 27 mars 1920, fort bien
expliqué à la Chambre des députés française que si la France avait
réclamé sa part d'influence et d'intérêts en Asie Mineure, elle n ' y était
cependant allée qu'appelée par les peuples de ce pays, sollicitée par eux,
dans leur intérêt autant que dans son intérêt propre (1). Et, en ce q u i
(1)
Voici comment M. Aristide Briand, à la séance du 27 mars 1920, s'est expliqué,
à la Chambre des députés française, sur le caractère économique et moral des accords
de 1916 qu'il avait conclus en qualité de Président du Conseil français :
« . . .
Or, par quoi les accords de 1916 ont-ils été inspirés? D'abord par le souci de
sauvegarder les grands intérêts traditionnels et séculaires de la France, par la préoccu–
pation légitime de lui garder dans la Méditerranée la large part d'intluence qu'elle a le
droit d'y avoir, mais aussi parce que les délégués les plus autorisés de ces populations
de l'Orient — et c'était à l'honneur de mon pays qu'il en fût ainsi — venaient supplier celui
qui avait alors la responsabilité de diriger le gouvernement de la France de ne pas les
abandonner, de jouer en Asie Mineure le rôle séculaire de protectrice et de libératrice
qui a mérité à notre patrie, dans ces pays, la grande autorité et la confiance absolue
dont elle y jouit. Oui, c'est sous l'influence de ces considérations qu'en pleine guerre,
appliquant un principe que je croyais bon et qui consistait, au fur et à mesure que les
événements se déroulaient, à régler entre alliés les questions qui devaient se poser
entre eux à la fin de la guerre, qu'au moment de l'eipédition d'Orient, j ' a i demandé
à nos alliés anglais et russes que fussent établies les trois zones d'influence de la Grande
Bretagne, de la Russie et de la France. Quelle zone a été attribuée à notre pays ?
< Elle comprend la Cilicie, Adana, Mersina, Aiexandrette, puis, en remontant, elle
englobe une partie de la région arménienne — ceci à la sollicitation suppliante des Armé–
niens les plus autorisés — Diarbélrir, les régions jusqu'à la pointe du lac de Van ; plus bas,
Mossoul
(
Applaudissements),..
et cela pour des raisons d'ordre économique sur lesquel–
les je ne devrais avoir besoin d'insister. Mais, Messieurs, est-ce que, en France, nous ne
ferons jamais que la politique sentimentale?
[
Nouveaux applaudissements.)
N'aurons-
Fonds A.R.A.M