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LA. SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
des guerres victorieuses avec l a Tu r qu i e , l a Russie réussit à s t i pu l e r de
grands privilèges politiques en faveur des Nations moldavo-valaque et
serbe et à placer celles-ci sous sa p r o t e c t i on . Pendant la période de 1774
à 1856, la Russie exerça en Tu r qu i e u n véritable droit
d'intervention
d'humanité,
limité, i l est vrai, en pratique, à la protection des Chrétiens
orthodoxes
(1).
Mais, pendant cette période même de l a prépondérance de l'influence
auront été avérées par les
deux
Cours de Russie et de Turquie ; la destitution d'un
Hospodar dépend également de l'accord préalable des deux Cours ; l'acte séparé conclu
à Andrinople le 2-14 septembre 1829 fixe à- vie l'élection des Hospodars, élus jus–
qu'alors pour 7 ans ; le traité rùsso-turc de Saint-Pétersbourg du 29 janvier 1834 oblige
la Sublime Porte à reconnaître la Constitution élaborée par lesAssemblées des notables
pendant l'occupation russe (art. 2) ; la convention de Balta-Liman du 19 avril-!"» mai
1849
détermine la nomination des Hospodars par. le Sultan « d'après un mode spéciale–
ment concerté pour cette fois entre les deux Cours » et stipule, en présence de la situa–
tion troublée dans les Principautés, leur occupation simultanée par les troupes russes
et turques
(
Recueil d'actes internationaux de l'Empire ottaman,
publié par Gabriel Effendi
Noradounghian, t . I et
II).
Les privilèges en faveur des Serbes furent stipulés par la Russie dans le traité de
Bucarest (art. 8), la convention d'Akkerman (art. 5 et Sened annexé) et le traité
d'Andrinople (art. 6). Le rescrit impérial, ou Hatti Chérif, octroyant à la Serbie l'auto–
nomie, fut promulgué le 29 août 1830, après entente avec les députés seibes. Le préam–
bule de ce traité se réfère expressément au traité d'Andrinople et à la convention,
d'Akkerman
(
Recueil Noradounghian,
t. I l , p. 197).
(1)
Le protectorat français des intérêts catholiques dans l'Empire ottoman ne saurait,
à notre avis, être considéré comme une intervention d'humanité. Nous n'allons pas
aussi loin que M . Kougier (Rougier,
La théorie de l'intervention d'humanité,
Extrait de la
Revue générale de droit international public,
p. 9), qui déclare que « l'intervention en
matière de religion est chose nettement différente de l'intervention d'humanité ». Mais
i l nous semble évident que l'intervention en matière de religion est plus étroite que
l'intervention d'humanité, puisqu'elle ne protège qu'une seule catégorie des droits de
l'homme: le droit au libre exercice de toute foi, religion ou croyance. Par conséquent,
la protection de la religion catholique romaine, exercée en Turquie, dès les débuts du
XVI* siècle, par la France, ne nous parait pas posséder tous les traits d'une interven–
tion d'humanité. Celte protection assurait la liberté du culte catholique dans l'Empire
ottoman, garantissait aux communautés religieuses catholiques, étrangères ou otto–
manes, la jouissance de certains privilèges et aux religieux catholiques, sujets étran–
gers ou ottomans, une inviolabilité de leurs personnes, dans les cas où ils étaient
molestés à l'occasion de l'exercice de leur profession religieuse (Comp. Pélissié du
Rausas,
Le régime des Capitulations
dans l'Empire ottoman,
t . I I , 1911, chap. I I ,
p. 80-177). Ce protectorat ne s'appliquait donc qu'à la religion catholique, et non pas
à tous les Citholiques sujets ottomans. C'est en quoi i l se distinguait du protectorat
russe qui, l u i , visait lès droits de tous les sujets orthodoxes de lu l'orte et non pas
seulement ceux des religieux orthodoxes.
En fait, jusqu'au milieu du XIX
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siècle, le protectorat religieux de la France profilait
surtout aux communautés catholiques étrangères, le nombre des Catholiques sujets
ottomans étant, jusqu'à ces derniers temps, très restreint. Malgré cela, le protectorat
catholique français, basé sur une tradition qui remonte à 1528 et sur des textes formels
des Capitulations françaises de 1604, 1673 et 1740, a certainement préparé les voies à
l'interveation étrangère en faveur de tous les Chrétiens. Le protectorat catholique
français doit donc être considéré comme le
précurseur
de l'intervention d'humanité.
Fonds A.R.A.M