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L A SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
à l'intérieur Mais la suite des événements a montré que celte démobili–
sation ne fut pas sérieusement opérée. I l devint dès lors c ompa r a t i v e –
ment facile à Moustapha Kémal de reconstituer une armée t u r q u e , de
l ' ou t i l l e r et de la ravitailler (1).
Mais s i les origines d u Nationalisme turc ne peuvent être établies a u –
j o u r d ' h u i avec toute la certitude nécessaire, ses tendances se sont déjà
révélées clairement tout à l a fois par des déclarations et par des actes.
Le premier Congrès de l'Asie Mineure Orientale fut convoqué par
Moustapha Kémal à Erzeroum le 23 j u i l l e t 1919. I l y siégea j u s q u ' a u
7
août suivant. Les résolutions et la proclamation qu i en sortirent furent
empreintes d u plus pu r nationalisme turc, et elles indiquèrent en même
temps la ferme détermination de ne tenir aucun compte des aspirations
des nationalités non-turques habitant l'Asie Mineure.
La proclamation d u 7 août constata spécialement le risque que c o u –
rait l a Tu r qu i e d'être démembrée, en présence de l'occupation étran–
gère de certains territoires comme Smyrne, Adana et Adalia, du projet
(
i)
Voici comment s'exprime à ce sujet M. Michel Paillarès
(
Le Kémalisme devant les
Alliés,
p. 54-56): « Grâce à l'incurie des Alliés, Moustafa Kémal a trouvé prêts tous les
éléments constitutifs d'une armée ; lui et ses amis n'ont eu que la peine de coordonner
ces éléments et de les compléter. Jamais, en effet, le désarmement stipulé par l'armistice
n'a été opéré sérieusement. Les unités des huit corps d'armée qui se trouvaient en
Anatolie sont restées constituées avec leurs cadres et leurs États-majors. I l en a été
de même des débris des corps d'armée de Syrie et de Mésopotamie qui ont reflué en
Anatolie. Les dépôts d'armes et de munitions plus ou moins inventeriés, sommairement
et partiellement, sont restés tels quels, à la garde d'Allah, surtout dans l'intérieur.
Quant a ceux qui étaient à proximité de Constantinople, on en u confié la surveillance à
des troupes ridiculement insuffisantes, tel ce dépôt d'armes de Gallipoli que gardaient
un sergent et douze hommes. Une belle nuit, une bande de 250 hommes assaillit le
dépôt et enleva des milliers de fusils sans rencontrer de résistance. Cela
se
passait en
mai 1919. L'immense stock de matériel de guerre que les Allemands avaient accumulé &
Angora et à Sivas, où étaient les magasins généraux de l'armée turque pendant la guerre,
est demeuré à la disposition du premier venu. Les Nationalistes n'ont eu qu'à se baisser
pour ramasser fusils, mitrailleuses, canons, camions-automobiles, avions, e t c . . ».
«
On avait bien cru parer à toute fuite du matériel de guerre en constituant comme
gardiennes les autorités ottomanes ; mais celles-ci ont été généralement de complicité
absolue avec les Nationalistes. Une contrebande intense s'effectuait au su et au vu du
gouvernement. Et d'ailleurs, parmi les Alliés, certains aidaient les Nationalistes maté–
riellement et moralement. Adalia occupé par les Italiens est devenu le port de ravi–
taillement d'Angora. Fusils, mitrailleuses, grenades, lance-mines, équipements, etc.
passent par là sans discontinuer. C'est cette double complicité, occulte d'abord, ouverte
ensuite, qui a fait peur à Damad Férid et qui l'a empêché de prendre contre Moustapha
Kémal, alors qu'il n'était encore rien, les mesures de rigueur que recommandait Ali
Kémal Bey, ministre de l'intérieur. Malgré tout, si l'on avait agi avec décision et énergie,
on aurait pu s'assurer de la personne du rebelle et étouffer le mouvement dans l'œuf.
On se contenta de le faire anathématiser par le Cheik-Ul-Isiam, ce qui ne produisait pas
plus d'effet qu'un caulère sur une jambe de bois. Mécontent de l'attitude du Cabinet qu'il
accusait de faiblesse, A l i Kémal Bey donna sa démission. Hélas ! ce geste ne changeait
rien à la situation » .
Fonds A.R.A.M