DEVANT L E PROBLÈME ARMÉNIEN
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On peut seulement affirmer que le mouvement nationaliste — q u ' i l soit
dû à une explosion spontanée d3 l'âme turque, ou q u ' i l ait été grossi o u
même artificiellement fomenté par u n groupe d'aventuriers soutenus
par Be r l i n et Moscou — n'aurait jamais p u se développer sans l'extraor–
dinaire incurie et, dans certains cas, sans la faiblesse des Alliés.
Nous avons déjà eu à plusieurs reprises l'occasion de signaler les
effets, désastreux pour la paix du monde, de l'armistice signé le 30 octo–
bre 1918, à Moudros, entre l ' ami r a l Calthorpe et Réouf Bey. Cet armis–
tice p e rmi t aux Nationalistes turcs d'organiser de nouveaux centres de
résistance dans les provinces arméniennes, q u i échappaient à l'occu–
pation alliée. L'article 5 de cette convention décrétait sans doute l a
démobilisation immédiate de l'armée turque, à l'exception des troupes
nécessaires pour l a surveillance des frontières et le maintien de l'ordre
racontés par Djémil Arif Bey dans le journal kémaliste
Tevhid-i-Efkiar,
dont Orner
Kiazim donne de nombreux extraits
{
Angora et Berlin,
p . 158-163). D'ailleurs, Orner
Kiazim est d'avis que « aujourd'hui, à Angora, le Comité « Union et Progrès » est au
pouvoir ».
M. Michel Paillarès
(
Le Kémalisme devant] les Alliés,
1922)
voit également dans le
Kémalisme le continuateur de l'Unionisme. Damad Férid Pacha, en envoyant Moustapha
Rémal en Anatolie, avait en vue « d'éloigner un soldat remuant et de profiter en même
temps de ses talents d'organisateur pour maintenir intactes les forces militaires dont
la démobilisation était exigée par l'armistice » . « A peine l'inspecteur général avait-il
foulé le sol de l'Anatolie, qu'il revendiqua ta Turquie pour les Turcs, arborant l'éten–
dard du Comité. Aussitôt ce fut comme un aimant qui attira tous les Unionistes de
l'armée et de l'administration. L'Odjak était resté debout au milieu des ruines de la
patrie. C'était la seule organisation politique qui eût des cadres et des troupes. L'armée
et l'administration lui appartenaient tout entières. Mais, après la fuite d'Enver et de
Talaat, i l lui manquait un chef : celui-ci se présentait en la personne de Moustapha
Keinal ; i l fut agréé d'enthousiasme, et on le proclama le sauveur de la patrie...» (p. 53-
54).
Le même auteur cite (p. 99) ces déclarations à la presse ottomane d'Izzet Bey, vali
de Smyrne, que « le mouvement nationaliste provoqué par Kémal Pacha est l'œuvre du
Comité germanophile jeune-turc qui tente de tromper une fois encore les Puissances,
comme i l le fit en 1908 parla proclamation de la Constitution ».
D'autres auteurs attribuent au mouvement kémaliste un caractère nationaliste entière–
ment spontané. Ainsi, d'après M . Jean Schliklin
(
Angora,
1922),
le Kémalisme aurait été
une réaction contre la politique de l'Angleterre tendant à une tutelle de tout l'Orient
musulman et protégeant dans ce but les efforts des Arméniens et des Grecs pour réaliser
la Grande Arménie et l'Etat du Pont. Le débarquement des Grecs à Stnyrne aurait affermi
cette réaction. « Les circonstances, dit M. Schliklin (p. 19), avaient fait naître sponta–
nément, au plus profond de l'âme turque, le sentiment de l'indépendance nationale ».
M. Mnurice Pernot
(
La question turque,
1923)
fait remonter, lui aussi, les origines du
mouv°m?nt nationaliste à une réaction contre l'entente gréco-arménienne, conclue vers
la fin de 1918, entente protégée par l'Angleterre. Cet auteur attribue au parti Union et
Progrès, s'intitulant maintenant parti de la « rénovation », un rôle important dans l'or–
ganisation de la résistance turque, bien que beaucoup des chefs du mouvement, et parmi
eux Moustapha Kémal,
ne
fussent pas des Unionistes. Le débarquement des Grecs à
Smyrne, qui « suscita parmi les Musulmans d'Asie une effervescence considérable », fut
mis à profit par Moustapha Kémal pour convoquer le Congrès d'Erzeroum (Maurice Pernot,
op. cit.,
p. 68-69).
Fonds A.R.A.M