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LA SOCIÉTÉ DES NATIONS ET LES PUISSANCES
Ainsi, u n revirement p r o f ond s'annonçait à Londres dans la politique
orientale des puissances. Et ce revirement devait avoir la plus d o u l o u –
reuse répercussion d'une manière générale sur la situation des Chrétiens
en Tu r qu i e , et spécialement sur le sort de la nation arménienne. Pour
apprécier impa r t i a l emen t cette nouvelle politique internationale, i l
convient de se rendre compte de ses causes profondes. De ces causes
l'une est le réveil du nationalisme turc ; les autres remontent, en partie,
aux débuts mêmes de la Grande Guerre.
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L E R É V E I L D U NATIONALISME T U R C .
A u début de l'année 1919, le général Moustapha Kémal Pacha avait
été envoyé par le Cabinet Damad Férid Pacha en Anatolie, comme
inspecteur général d u 3* Corps d'armée. Quelques mois plus tard, i l
était reconnu le chef du mouvement nationaliste turc et présidait le
Congrès d'Erzeroum q u i s'ouvrait le 10/23 j u i l l e t 1919.
I l est encore trop tôt pour écrire l'histoire des origines d u mouv e –
men t auquel Moustapha Kémal Pacha a attaché son n om . Une docu–
mentation sûre et authentique de source turque fait en effet défaut (1).
(1)
Les auteurs qui jusqu'ici ont écrit sur le Kérnalisme, bien qu'ayant tous fait des
enquêtes sur place, ne sont nullement d'accord sur ses origines. Pour Orner Kiazim,
qui a consacré à la question deux brochures :
L'aventure
kémaliste
(1921)
et
Angora et
Berlin
(1922),
le Kérnalisme n'est que l'instrument de l'Allemagne et des Soviets. « Le
Kémalistne, dit cet auteur, n'est pas un mouvement national intérieur, provoqué spon–
tanément par un sentiment de rage et de désespoir national, une réaction organique et
profonde de l'âme de la nation turque contre le traité de Sèvres, ainsi que le prétendent
les défenseurs du Kérnalisme, mais un mouvement
extérieur,
provoqué artificiellement
par une bande d'intriguants poursuivant des buts personnels et qui, condamnés par la
conscience nationale turque pour leurs crimes, ne reculant devant rien pour échapper
aux responsabilités finales, sont prêts à tout, contre la volonté du peuple turc qui, sans
approuver toutes les clauses du traité de Sèvres, s'estimait relativement heureux de con–
server encore une part de son patrimoine national après le crime inouï de ses dirigeants
de 1914 et qui n'aspirait qu'à une chose : la fin de la guerre et sa libération de cette
bande de mauvais bergers qui l'épuisèrent pendant douze années consécutives et condui–
sirent l'Empire de catastrophe en catastrophe. Ce n'est pas par désespoir que le Kérna–
lisme s'est jeté dans les bras du bolchévisme et de l'Allemagne. Tous les ennemis de
la paix se sont trouvés unis pour agir dans leur commun intérêt. C'est Berlin et Moscou,
surtout, qui ont créé le mouvement insurrectionnel d'Angora pour la réalisation du grand
plan : la rupture du bloc des Puissances alliées, la fin de cette entente qui a assuré la
victoire et en était la garantie, et le bouleversement national à la faveur duquel on tenterait
la revanche »
(
Angora el B e r l i n ,
p. 154-155). Le même auteur a en outre tâché d'établir
Vaction parallèle
de Moustapha Kémal, d'une part, et des Jeunes Turcs (Talaat, Djémal,
Enver), d'autre part, ces derniers menant des tractations avec les gouvernements alle–
mand et bolcbéviste. Les pourparlers de Talaat avec les Bolcheviks ont été dernièrement
Fonds A.R.A.M