DEVANT L E PROBLÈME ARMÉNIEN
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Par contre, la po l i t i que de la Société nous semble faire fausse r o u l e ,
lorsqu'elle tend, non pas à imposer u n certain
stage
à une nation qu'elle
ne croit pas suffisamment pénétrée de l'idéal c ommun , mais à éviter les
risques de l a défense commune d ' un nouveau membre contre les
agressions escomptées venant d u dehors. Une pareille po l i t i que nous
paraît immo r a l e et dangereuse pour l'avenir de la Société des Nations
elle-même. Ce serait en effet singulièrement fausser et amo i nd r i r l'idée
de l'universalité de la Société des Nations que d'en ou v r i r à deux bat–
tants les portes aux États forts q u i peuvent se protéger eux-mêmes et
selon les cas individuels, en s'inspirant de l'intérêt commun de l'humanité. Cet intérêt
commun peut amener la Société à reconnaître, dans tel cas, la rupture de toutes les
attaches juridiques qui lient une nation à un État déterminé ; i l peut, dans un autre
cas, la conduire, au contraire, au maintien d'un lien plus ou moins intime entre plu–
sieurs nations dans le cadre d'un État commun, tout en leur accordant la représenta–
tion dans la Société, comme c'est le cas pour l'Inde et les Dominions britanniques?*; i l
pourra, enfin, leur refuser même cette représentation.
Il serait tout à fait impossible de fixer des règles générales de droit pour une telle
délimitation des intérêts de l'État et de la Nation. Rappelons à ce sujet les paroles
remarquables du Président "Wilson, dans son Message au Congrès le 11 février 1918 :
«
Chaque partie du règlement final doit être basée sur la
justice essentielle du cas par–
ticulier
envisagé et sur les arrangements les plus propres à amener une paix qui soit
permanente ». Et plus l o i n : « Toutes les aspirations nationales bien définies devront
recevoir la satisfaction la plus complète qui puisse être accordée sans introduire
de nouveaux, ou perpétuer d'anciens éléments de discorde ou d'antagonisme, suscep–
tibles avec le temps de rompre la paix de l'Europe et par conséquent du monde ». I l
ne pourra donc s'agir dans ces cas que d'une
politique
au service de la
justice.
En conséquence, i l ne saurait être question de reconnaître à toutes les nations du
monde le
droit
absolu de participer directement à la*Société des Nations. Dans le cas
«
des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions parti–
culièrement difficiles du monde moderne », la reconnaissance d'un pareil droit irait
d'ailleurs à l'encontre de l'article 22 du Pacte. Mais même dans le cas des États,com–
posés de nations de civilisation similaire, les demandes d'admission formulées par les
nations à rencontre de la volonté de l'État historique, ne sauraient être accordées
qu'après un examen attentif des intérêts en présence, par la Société des Nations; celle-
ci devra décider, dans chaque cas particulier, si c'est l'intérêt immédiat de l'État ou
celui de la nation qui doit être préféré dans l'intérêt supérieur de l'humanité.
Ce n'est pas, naturellement, sous cet aspect que le cas de la séparation des nations
allogènes de la Russie s'est présenté à la première Assemblée de la Société des Nations
encore si éloignée de l'universalité. Cette première Assemblée n'avait pas a statuer sur
les droits de nations qui se seraient séparées d'un État russe membre de la Société des
Nations, mais à répondre à l'appel des peuples qui venaient de se détacher du pouvoir
usurpateur des Soviets, pouvoir se trouvant en dehors de la Société des Nations et des
intérêts duquel cette Société n'avait pas à se préoccuper. Nous avons vu que la Société
des Nations a voulu, à un certain moment, prendre en considération les intérêts
per–
manents
de la
Russie absente
;
mais, la situation de fait se prolongeant, elle a cru devoir
adopter une attitude plus réaliste et régler sa politique exclusivement sur l'article 10.
La Société a donc admis les États baltes, ne les croyant plus menacés par les Soviets,
et elle a continué à tenir éloignés les États caucasiens occupés par les troupes bolche-
vistes.
MANDELSTAM
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Fonds A.R.A.M