ble des T u r c s r i va l i s a i t avec les mo y e n s insuffisants de
sauvetage dont disposaient les Européens. Des soldats
t u r c s se lançaient au galop à t r ave r s l a foule, p r ovoquant
des r emou s et des heu r t s , q u i précipitaient les chrétiens
dams l a me r . Des coups de f us i l , fréquemment tirés, a u g –
men t a i en t encor e l a pan i que . D a n s cette nu i t l ugub r e , les
ma r i n s étrangers pu r en t , a u p r i x de nomb r eus e s d i f f i cu l –
tés, t r anspor t e r s u r l eur s bâtiments l eur s propres su j et s
et l ems protégés. U n ce r t a i n nomb r e d'Arméniens et de
Gr ec s pu r en t aus s i , à travers mi l l e souffrances, s ' emba r –
que r avec ces de rn i e r s .
L e i 4 sept emb r e , a u ma t i n , l a rade de Smy r n e présen–
tait le spectacle d ' un l i eu où se serait produ i t u n nauf rage
effroyable. De n omb r e u x cadavr es , ballotés pa r les v a –
gues, se heur t a i ent aux qua i s , pour s ' en éloigner ensu i te
et y r e v en i r peu après. Des barques , s ans gouv e r na i l n i
inexprimable. Vis-à-vis des Arméniens et des Grecs, qui habitaient le pays,
la politique est d'une extrême simplicité : disparition ou extermination. Je
ne parle que de ce que j ' a i vu. A Mersine, à Adalia, à Smyrne, i l n'y a plus
de chrétiens, à part le personnel des consulats et quelques sujets européens.
Les quartiers grecs de Mersine et d'Adalia sont déserts, complètement pillés,
en ruine déjà. Les Turcs n'entretiennent aucune de ces maisons dont cer–
taines sont bien construites et laissent la végétation tout envahir. Dans quel–
ques mois, rien ne subsistera plus. Dans la région de Smyrne, (ou* les vil–
lages grecs ont été brûlés de fond en comble et toute la population massa–
crée ou forcée de s'exiler. Le long des côtes charmantes du golfe, parmi les
champs que personne ne laboure plus et les vignes que les mauvaises herbes
étouffent, i l n'y a plus que des murs écroulés et la mort. A Smyrne même,
le massacre, que les autorités consulaires ont été impuissantes à enrayer,
a fait des milliers de victimes dans des conditions d'atrocité inouïe. La ville,
promise depuis de longues semaines comme objectif de pillage, aux soldats
de Moustapha Kemal, leur a été livrée sans que les généraux ou les officiers
fissent le moindre effort pour enrayer ou canaliser ce débordement de pas–
sion et de haine. Le Consul de France a vu, sous ses yeux, noyer des dizaines
de chrétiens, que Ton achevait dans l'eau à coup de pied, sons l'œil même
des chefs. La nuit, les projecteurs de nos navires éclairaient la foule mou–
rante de faim et de soif, qui s'écrasait sur les quajs et d'où s'élevaient des
hurlements. Cette foule, habituée depuis des siècles à notre protection,
regardait nos canons muets qui eussent en quelques instants rétabli l'ordre.
L'incendie provoqué par les foyers très nombreux allumés sur des points
très différents de la ville par les Arméniens au désespoir, les pillards turcs
soucieux de dissimuler leurs meurtres, les soldats grecs pris de panique,
semble avoir été un fait spontané, qui ne fut prévu ou concerté n i par les
uns n i par les autres ; le fait subsiste que les Turcs ne firent rien pour
limiter le désastre et que le quartier turc resta intact. (R.
L A U R E N T - V I B E R T ,
L'Orient en mai 1923.
Notes de voyages (Lyon, impr. M. Audin), in-4% p. 6-7.
Fonds A.R.A.M