L A C R È T E E T L E K H A L I F A T
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Mais un changement politique étant nécessaire pour
contenter les chrétiens, de simples mesures écono–
miques pouvaient suffire à contenter le gros des
musulmans : quelques millions de francs adouci–
raient leurs tristesses et assureraient leur vie sur
les routes de l'exode. I l ne fallait en effet garder
aucune illusion : à toutes les garanties que les puis–
sances et les Grecs leur offriraient dans l'île annexée,
à la sécurité et à l'équitable justice que l'exemple
de leurs frères thessaliens devait leur faire attendre
du gouvernement d'Athènes, les musulmans crétois
préféreraient l'exil; les dernières villes Cretoises,
Candie, la Canée, Rhétymno, Sélino, se videraient
de Croyants, comme autrefois ces villes de Morée,
Coron et Modon, qui, entièrement musulmanes en
1820,
n'avaient plus un turban en 1835.
Le spectacle de pareils exils est toujours lamen–
table. Même quand on se remettait devant les yeux
les trois siècles d'atroce exploitation dont l'Islam
avait fait payer sa présence à la Crète, même
quand on savait que les
beys
actuels et ce qui leur
restait de partisans avaient été les ouvriers et les
bénéficiaires du régime hamidien, i l était cruel de
laisser les fils et les petits-fils succomber sous le faix
des crimes ancestraux. Mais l'autonomie n'aurait-
elle pas en quelques années les mêmes effets que
l'annexion? Au lieu d'un exode en masse, c'étaient
des embarquements quotidiens qui enlèveraient les
beys
à leurs champs crétois ; le Croyant, surtout le
riche Croyant, ne peut vivre que sur une terre du
Prophète, où ses exigences rituelles et ses besoins
de domination ne soient pas contrariés; l'islam
crétois avait trop librement usé et abusé de ses
Fonds A.R.A.M