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L A M O R T D E
S T A M B O U L
contre le peuple crétois, excusé, presque louange
les incendiaires et les espions d'Abd-ul-Hamid. Le
peuple crétois ne pouvait plus oublier certains arti–
cles du
Mechveret
:
Jeunes ou Vieux, pour l u i tous
les Turcs se valaient. Au pied du mont Ida, tout près
du village de Melidoni, une grande caverne était
encore pleine des ossements de ceux qu'Hassan-
pacha, en 1822, y avait enfumés. Les chrétiens
s'étaient j u r é de n'enterrer ces reliques que le jour
où le dernier musulman aurait quitté l'île; chaque
année, à la date anniversaire, ils revenaient visiter
et manier ces ossements, mettre les crânes sur la
tète de leurs fils et renouveler le serment que se
transmettaient les générations.
— «
Mais les puissances, disait la Porte avec
raison, se sont engagées à défendre les musulmans
crétois contre la haine des chrétiens, à les maintenir
dans leurs biens et leurs droits ; c'est les livrer aux
représailles et à la ruine que donner à la majorité
chrétienne la liberté sans contrôle. »
En 1860 ou 1870, quand l'île comptait encore
quelque cent mille musulmans pour deux cent
mille chrétiens, on pouvait plaider les droits de cette
minorité nombreuse. Mais l'émigration quotidienne
avait depuis trente ans emmené les trois quarts de
la population musulmane ; presque tout entière, elle
se fût embarquée déjà, si la propagande de Stamboul
ne s'était efforcée d'en retarder le départ, si les
riches
begs
et
agas
n'eussent pas été liés au sol par
leurs propriétés, dont l'actuelle pénurie de l'île les
empêchait de trouver un prix convenable. Les puis–
sances avaient le devoir de protéger ces musulmans
avec autant de sollicitude que les autres Crétois.
Fonds A.R.A.M