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L A MORT DE STAMBOUL
musulmans crétois avaient donné aux idées et aux
disciples de Midhat-pacha leurs plus fermes adhé–
rents — et des défenseurs d'une espèce assez rare,
disaient les Jeunes-Turcs.
— «
La Crète, m'expliquait l'un d'eux en j u i n 1909
1
,
la Crète est pour nous ce que l'Alsace-Lorraine est
pour vous autres, Français. Nous y avons les mêmes
souvenirs de victoires et de défaites ; elle nous a
coûté autant de larmes et de sang. Mais plus encore
que des regrets patriotiques, son annexion à la Grèce
nous causerait une perte irréparable. Les musulmans
crétois sont nécessaires à notre œuv r e de régéné–
ration islamique : la seule Crète musulmane peut
suppléer à l'un de nos manques.
»
Messagers de l'idéal européen dans l'Islam, i l
nous faut, pour ouvriers, des musulmans qui, iné-
branlablement fidèles au Khalifat, soient pourtant
imbus déjà et capables de s'imboire à fond des idées
occidentales. Dans notre parlement, dans notre
administration civile et judiciaire, les musulmans de
l'Archipel, — les Insulaires, les « Nèsiotes » comme
disent les Grecs, — peuvent le mieux tenir ce rôle. Le
sang de leurs mères les a faits depuis trois siècles
presque Hellènes de race, aptes à toutes les sciences
et à tous les arts de l'Europe, surtout aux arts de la
parole et de la plume. La pratique familiale et héré–
ditaire de la langue grecque les a dressés aux rai–
sonnements et aux procédés de votre jurisprudence
et de votre bureaucratie. La défense de leurs privi-
1.
J'ai exposé ce plaidoyer turc aux lecteurs de la
Revue de
Paris
le 18 juillet 1909; à quatre ans de distance, je n'ai rien à
changer et presque rien à ajouter aux conclusions que j'en tirais
alors.
Fonds A.R.A.M