LA CRÈTE ET L E KHALIFAT
          
        
        
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          Et la Jeune Turquie se souvenait que la Tripoli–
        
        
          taine avait gardé les tombeaux de milliers de ses
        
        
          proscrits; c'était une terre des Martyrs...
        
        
          La Crète elle-même était pour les Jeunes-Turcs
        
        
          une autre terre sacrée : ces ardents nationalistes
        
        
          avaient toujours proclamé leur intention de la
        
        
          garder, coûte que coûte, sous quelque forme j u r i –
        
        
          dique que ce fût.
        
        
          Exilés, abandonnés de tous, n'ayant en France que
        
        
          quelques amis, ils s'étaient en 1898 brouillés avec les
        
        
          plus sincères, quand ils les avaient entendus réclamer
        
        
          les droits de la Crète, comme ceux de l'Arménie.
        
        
          Les Jeunes-Turcs n'avaient alors pour l'Arménie que
        
        
          paroles de pitié et d'encouragement; mais leur
        
        
          
            Mechveret,
          
        
        
          le journal de leur Comité
        
        
          
            Union et Pro–
          
        
        
          
            grès,
          
        
        
          allait j u s qu ' à nier les menées d'Abd-ul-Hamid
        
        
          en Crète, les massacres de Candie, les incendies de
        
        
          la Canée. Ils accordaient alors — ils accordèrent
        
        
          toujours —pleine créance à toute lettre, à tout témoi–
        
        
          gnage des musulmans crétois; venues de Crète, les
        
        
          exagérations les plus évidentes, les erreurs systé–
        
        
          matiques ne rencontraient chez eux qu'indulgentes
        
        
          excuses : « Ce sont des Jeunes-Turcs », disaient-ils,
        
        
          du même ton que l'on dit en France : « C'est un bon
        
        
          républicain ».
        
        
          Candie était jeune-turque en effet, et depuis long–
        
        
          temps. La Jeune Turquie y avait recruté ses adeptes
        
        
          de la seconde heure, sinon de la première. C'est à
        
        
          Candie que, rentrant d'exil en 1878, après l'échec du
        
        
          premier parlement et les désastres de la guerre
        
        
          russo-turque, le premier, le seul grand vizir consti–
        
        
          tutionnel de la Vieille Turquie, Midhat-pacha, avait
        
        
          reformé sa petite troupe d'apôtres. Depuis 1878, les
        
        
          Fonds A.R.A.M