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LA. MORT DE STAMBOUL
De cette importance de la Crète pour leur empire
d'outre-mer, les Vieux-Turcs avaient eu la compré–
hension fort nette : les Jeunes-Turcs en avaient,
eux, la vision expérimentale.
Durant les vingt années qu'Abd-ul-Hamid avait
exilé en Tripolitaine leurs patriotes et leurs offi–
ciers, ils avaient vu de leurs yeux à quelle condition
de bénéfice précaire était tombée leur propriété
d'Afrique sous le monopole de la navigation ita–
lienne, sous la menace d'une rupture avec l'Italie.
Ils pensaient, ils disaient que Candie grecque signi–
fierait tôt ou tard Tripoli italienne et, quand ils par–
laient de garder la Sude comme base navale, c'était
moins pour une offensive contre les Cretois que
pour le ravitaillement et la défense de leurs places
africaines.
Or ils tenaient à ces places, autant, plus même que
la Vieille Turquie y avait pu tenir. Ils n'avaient plus
les illusions d'Abd-ul-Hamid sur la possibilité d'un
empire africain. Dispersés naguère jusqu'au fond du
Fezzan, jusqu'aux plus lointaines oasis du Tedda,
ils connaissaient le morne désert qui s'étend der–
rière les palmeraies du rivage; ils savaient que «Tri–
poli, porte du Soudan, embarcadère de la Nigritie »,
comme on disait i l y a trente ans, n'est plus qu'un
mot historique, depuis que les flottes et les colonnes
européennes ont contourné ou pénétré l'Afrique
occidentale, atteint le pays des Nègres parles rivages
et les fleuves de l'Atlantique. Mais les Jeunes-Turcs
avaient gardé une juste confiance dans les progrès
que l'Islam continuait de faire en Afrique; ils pen–
saient que, malgré les sables, la soif et la distance,
l'islam du Centre-Afrique pourrait encore envoyer
Fonds A.R.A.M