L A C R È T E E T L E K H A L I F A T
main de la Porte, la Vieille Turquie put tant bien
que mal approvisionner Tripoli et garder l'espérance
de cet empire africain, qu
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Abd-ul-Hamid, par ses
menées panislamisles, voulait reconstruire en pro–
fondeur jusqu'au Tchad et jusqu'au Niger : si la
Porte jeta l'argent par centaines de millions et, par
centaines de milliers, les vies humaines dans cette
Crète sans fond, c'est assurément que, prise dans le
courant d'une folle martingale, elle escomptait tou–
jours la revanche qui, d'un seul coup, l u i rendrait
toutes ses mises ; mais c'est aussi que, sans la Crète,
elle sentait ne pouvoir plus conserver longtemps
son rivage et son rêve africains.
Cette crainte était fondée : depuis 1898, depuis
que, remise aux puissances, la Crète avait cessé de
remplir son rôle ottoman, c'est par les bateaux
étrangers que la Tripolitaine recevait toute sa
subsistance. Cruelle ironie des lois géog r aph i que s !
c'est par les Italiens, par la seule flotte de commerce
italienne, que le Turc envoyait à ses soldats et fonc–
tionnaires la farine môme du pain quotidien. Qu'au
premier incident, Rome décidât d'interrompre cette
fourniture, et la Turquie d'Afrique, entre les flots
salés de la Méditerranée et les flots sablonneux du
Sahara, devrait, comme une place affamée, se rendre
à l'assiégeant... Les Romains, qui avaient possédé
jadis la Crète et la Tripolitaine, en avaient fait une
seule province : leur préteur de Crète et de Cyré-
naïque résidait dans la Candie de ce temps, à Gor-
tyne... Les Byzantins, qui avaient hérité des
domaines de Rome, ga r dè r en t l'Afrique tant qu'ils
eurent aussi la Crète; sitôt les Arabes maîtres de
l'île, l'empire africain de Ryzance s'écroula.
Fonds A.R.A.M