LA CliÈTE ET LE KHALIFAT
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Sous les pâ t u r age s des monls neigeux, sous les
forêts de cèdres et de chênes, les platanes et les
lauriers-roses couvrent les eaux courantes ; les vigno–
bles et les olivettes s'étagent, encadrant les champs
de b l é ; les jardins de la côte trempent dans la plus
tiède des mers leurs myrtes et leurs orangers :
«
C'est la terre du
sherbet
(
sorbet) », me disait un
vieux mollah de Candie, durant l'insurrection de
1897,
tandis qu'une jeune négresse nous apportait
les confitures fouettées de neige de l'Ida...
Nous aurions un
Manuel du Bonheur
à la mode
islamique, si quelque
spahi
ou
aga
d'autrefois nous
eût conté en ses Mémoires le détail de ces Mille
et Une Nuits Cretoises, dont nos voyageurs du
xvm
e
siècle' nous laissent entrevoir seulement les
félicités, les longues siestes et les ripailles sous
les arbres, les causeries et les
chibouks
parmi les
fleurs, les filles enlevées et les hommes empalés
dans les villages de la plaine, les expéditions et les
interminables combats contre les montagnards...
Damas et Candie, les deux « yeux » de l'islam otto–
man!...
Les Vieux-Turcs voyaient dans la Crète le pilier
central de leur empire méditerranéen.
Aux temps où cet empire allait du Maroc à la mer
Rouge, de Tlemcen à Souakim, où tout le front
septentrional de l'Afrique leur appartenait, la Crète
était la place d'armes des Turcs : elle leur offrait
l'étape entre la Roumélie ou l'Anatolie, d'une part,
qui étaient leurs réservoirs d'hommes et d'argent,
et, d'autre part, l'Afrique qui, après l'Europe, était
1.
Voir en particulier le
Voyage
de Tournefort.
Fonds A.R.A.M