L A C R È T E E T L E K H A L I F A T
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Rhodes, et, chez les Croyants, autant de fierté peut-
être que la prise même de Constantinople. Car ce
n'était pas à la seule Venise, à la reine de la Médi–
terranée chrétienne, que l'Islam pensait avoir enlevé
cette place que l'on avait dite imprenable : c'était à
la chrétienté tout entière, dont les volontaires étaient
venus défendre ce boulevard de leur foi, aux soldats
et aux capitaines du roi de France qui semblait alors
le « Sultan des chrétiens » ; sous Candie, les Turcs
avaient t ué son cousin Beaufort, mis en déroute ses
généraux La Feuillade et Navailles. Cinquante-six
assauts, trois ou quatre mille mines, cinquante mille
cadavres de chrétiens, cent mille cadavres de mu–
sulmans : jamais depuis la prise de Constantinople,
l'Islam n'avait dénombré pareils exploits.
Constantinople (1453), Rhodes (1522), Candie
(1069) :
ces trois étapes de la gloire ottomane res–
taient les trois grands titres des Turcs à la soumis–
sion toujours maug r é an t e de l'Islam
1
,
à la posses–
sion du Khalifat parleur Sultan.
Constantinople, Relgrade, Rhodes et Candie con–
quises avaient été les degrés ensoleillés de la montée
turque; Belgrade, Rhodes et Candie perdues, au-
devant de Stamboul menacée, seraient les tristes
échelons de la descente. Belgrade, dont la défense
contre le
giaour
avait coûté cent cinquante années
de batailles et autant de vies musulmanes que la
prise de Candie, Belgrade avait succombé : au-devant
de Stamboul, i l ne restait plus que Rhodes et Candie.
Si les Turcs se laissaient chasser de Crète, n'était-ce
1.
Cf. Victor Bérard,
Le Sultan, l'Islam et les Puissances,
Paris
Armand Colin, 1906.
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