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LA M011T DE STAMBOUL
Par leurs idées, les Jeunes-Turcs étaient fort dis–
semblables du gros de leur nation; mais ils en
étaient restés assez proches par leurs sentiments et
par leurs mœu r s et —• le mot n'est pas trop fort
pour la plupart d'entre eux — par leurs vertus. A
tâche égale, ils auraient eu plus de chances de réussir
que leurs devanciers, ayant conservé plus de con–
tact avec la vie quotidienne de la foule, plus de
prise sur l'instinct populaire. Le malheur est que la
tâche n'était pas égale : celle des réformateurs d'au–
trefois était relativement aisée; celle d'aujourd'hui
était écrasante.
Outre nos dernières inventions parlementaires,
les Jeunes-Turcs voulaient doter leur peuple de ce
qui faisait à leurs yeux la force des nations euro–
péennes, tout comme leurs devanciers avaient voulu
acquérir ce que, de leur temps, ils enviaient à
l'Europe. Jadis, quand la grandeur d'un Etat sem–
blait reposer tout entière sur son aptitude à la
guerre, quand le pouvoir d'un roi ne se mesurait
qu'à la valeur de son armée, la Turquie n'avait eu
à s'occuper que de réformes militaires. Or, la dis–
cipline naturelle à ce peuple avait rendu facile la
tâche des novateurs : du baron de Tott à von der
Goltz, durant un siècle et demi, tous les instructeurs
européens vantèrent la docilité des élèves que le
Turc leur confia. Ces réformes militaires, en outre,
pourvu que l'on tînt compte de quelques prescrip–
tions rituelles, n'effarouchaient pas trop l'Islam :
les seuls Turcs, dans la pratique, recrutant l'armée
nouvelle, les autres Croyants laissaient faire.
Plus récemment, la force militaire avait paru céder
la place à un instrument d'usage plus journalier et
Fonds A.R.A.M