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L A MORT DE STAMBOUL
peut subsister sans le respect le plus traditionnel de la
parole de Dieu. Le Sultanat, l'empire militaire,
s'expose tous les jours à la défaite, à la ruine, s'il ne
sait pas mettre son armée au niveau des forces les
plus nouvelles, en possession des inventions les plus
récentes, des armes et des sciences «dernier modèle ».
Par nécessité vitale, le Sultanat doit être le pro–
grès botté, le troc perpétuel des vieilles armures et
des vieilles ordonnances contre les armements et la
tactique du jour. Mais Khalifat et conservatisme
aveugle é t an t , par définition même , synonymes,
comment réunir en un même cerveau les calculs du
Sultan et les rêves du Khalife? Comment concilier
les devoirs de l'une et de l'autre charges?
Les Jeunes-Turcs pensaient ne sauver leur empire
militaire, après les trente années de stagnation
hamidienne, qu'en le réformant de fond en comble;
mais à défaut de la collaboration ou de l'acquies–
cement, i l leur fallait au moins la résignation de
l'Islam : plus leur réforme politique était contraire
aux principes mêmes du Khalifat, et plus i l leur
fallait éviter de heurter trop ouvertement le senti–
ment islamique. Ils avaient tant de titres à la défiance
de la foule!
Elevés ou ayant séjourné longtemps en Europe,
ils étaient presque étrangers à leur peuple : moins
turcs d'esprit et même do langage qu'européens, ils
se vantaient volontiers de leur « positivisme inté–
gral »; c'est Auguste Comte qui, pour eux, était le
P r ophè t e des temps nouveaux; ils en répétaient les
sourates,
les formules, parfois sans trop les com–
prendre, toujours sans les discuter, et s'ils fréquen–
taient rarement la mosquée, ils étaient fort assidus à
Fonds A.R.A.M