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LA MOUT DE STAMBOUL
trophée et transportant dans une capitale d'empire
germanique. Vienne ou Berlin, le siège du ponti–
ficat...
Pour l'Arabe de Bagdad, de Damas et de Médine,
pour le Croyant de race, le Khalifat depuis quatre
siècles subit la captivité d'Avignon : dans la lignée
des Sultans qui, depuis quatre siècles, se sont trans–
mis cette tiare usurpée, un seul peut-être, le dernier,
Abd-ul-Hamid, a mérité le saint titre de Khalife...
Le Turc ne s'est jamais fait d'illusion sur les sen–
timents de l'Islam à son endroit : sachant qu'il avait
à défendre son empire, son Sultanat, contre les
attaques des chrétientés voisines et contre les
révoltes des chrétientés sujettes, i l a toujours senti
qu'il avait à défendre sa papauté, son Khalifat, contre
la sourde rébellion des Croyants. Entre ces deux
ennemis, i l ne s'est maintenu que par les services
de l'un contre l'autre, usant de l'Islam pour répri–
mer les chrétientés, empruntant aux chrétientés de
quoi comprimer l'Islam, mais tirant bien plus de
services du chrétien que du musulman.
Le Khalifat l u i fut toujours d'un embarras plus
que d'un secours : peu de revenus, peu de recrues,
beaucoup de dépenses, de perpétuelles expéditions,
voilà tout ce que le Khalifat en temps ordinaire
valait à la Turquie; en retour, ce qu'il l u i fournis–
sait de plus efficace, c'était, dans les crises déses–
pérées, un terrible moyen de gouvernement contre
les
raïas
ou d'intimidation contre l'Europe. Le fana–
tisme déchaîné, se soulageant en massacres, déci–
mait les
raïas
et muselait pour une génération leur
mécontentement. La seule crainte des massacres
arrêtait parfois l'Europe en ses entreprises diplo-
Fonds A.R.A.M