L A CRÈTE ET L E K H A L I F A T
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trône sacré qu'une de ces gardes étrangères, garde
suisse, garde noire ou jaune, dont s'entoure volon–
tiers l'absolutisme des théocraties et des monarchies
décadentes. Deux siècles durant (900-1100 environ),
ce prétorien avait fait et défait les Khalifes; maire
du palais ou chef de l'armée, « sultan », i l avait
tyrannisé les Fidèles. Puis, incapable de défendre
le Saint-Siège contre la ruée des Mongols, i l avait
quitté les terres islamiques et pénétré dans l'empire
chrétien de Byzance; hors de l'Islam, au delà du
Tau rus anatolien, contre lequel la vague musul–
mane déferlait depuis cinq cents ans, i l avait pour
son compte acquis et exploité un empire dans les
terres de l'Infidèle, en soumettant la Byzantic d'Asie
Mineure et d'Europe, depuis le Taurus jusqu'au
Danube, et, pendant deux ou trois siècles (1250-1500
environ), i l avait vécu en marge de la Foi,
in par-
tibus infidelium,
soldat d'Allah, mais du Sultan
d'abord, et non plus sujet du Khalife.
En 1512 seulement, après deux siècles et demi de
séjour parmi les filles et les fils de l'Infidèle, i l avait
rebroussé vers les terres sacrées, repassé le Taurus
et, toujours conquérant, reparu dans le domaine de
l'islam arabe, de l'islam véritable, qu'il avait sub–
me r g é
1
.
De vive force, aux dépens des Arabes et des
vrais Fidèles, i l avait alors conquis pour son sultan
le titre de Khalife et rapporté dans sa capitale de
Stamboul la tiare islamique : imaginez quelque des–
cendant d'un garde suisse ou souabe coiffant dans
Rome la triple couronne, repassant les Alpes avec ce
1.
Cf. sur cette histoire mon livre
Le Sultan, l'Islam et les Puis–
sances,
Paris, Armand Colin, 1907.
Fonds A.R.A.M