LA TURQUIE ET LE TANZIMAT.
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l'affirmer, « les paysans les plus heureux de la terre (1). »
Une erreur aussi grossière a pu se rencontrer sous la plume
d'un étranger à la solde du Sultan ou dans la bouche de
quelque transfuge à la conscience vénale (2). Elle a tout
l'odieux d'une dérision cruelle aux yeux de quiconque a pu
connaître
de visu
la condition des chrétiens dans l'eyalet
du Danube.
Il est bien certain que de tous les États subjugués en Eu–
rope par les musulmans, la Bulgarie a été la plus complè–
tement asservie. Plus rapprochée du siège du gouvernement,
elle a dû se plier à la fois sous le joug féodal, politique et
religieux des spahis, des pachas et des Grecs du Phanar.
A l'optimisme anglais, effet d'une complaisance intéressée,
comme aux audacieux mensonges accrédités dans la presse
par quelque mercenaire couvrant de l'anonymat sa compli–
cité, j'opposerai ces paroles d'un fonctionnaire ottoman,
apostrophe que j'ai recueillie moi-même sur les lieux en
1865 :
«
Qu'êtes-vousici, s'écriait le mudir de Matchin (3) aux
habitants chrétiens du village de Graetz qui s'étaient pris
de querelle avec les émigrés circassiens ? Vos champs vous
appartiennent-ils? Vos titres de propriété, je ne les recon-
naispas. Vous prétendez ne pas pouvoir satisfaire aux ré–
quisitions qui vous sont faites pour des sujets musulmans
(
les Circassiens). Vendez vos maisons, vendez vos femmes,
vendez vos enfants et obéissez ou bien quittez le pays. »
Vers la même époque, le staroste de Longavitza, village
(1)
Slade, II, 96.
(2)
Lettre publiée par le
Mémorial diplomatique
en octobre 1875.
(3)
Tetite ville de la Dobrutcha,
Fonds A.R.A.M