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LA TURQUIE ET LE TANZIMAT.
rendue perplexe et se sentant exposée comme bien d'autres
à tous les hasards de la force, elle n'avait plus songé, par
une préoccupation bien légitime, qu'aux moyens de dé–
fendre son existence.
Ce souci de l'avenir aussi bien que l'effacement momen–
tané des deux gouvernements qui s'étaient plus activement
intéressés à la réforme de l'Empire, détermina un double
changement dans les vues et dans les procédés des con–
seillers du Sultan. Ceux-ci se proposèrent de fortifier l'État
par une centralisation plus étroite tout en le délivrant de
l'ingérance étrangère.
Aussitôt conçu, ce dessein fut poursuivi avec une remar–
quable énergie. Les fanatiques disaient : « les Prussiens
triomphent ; nous allons donc nous débarrasser de la civi–
lisation (1), » et les journaux, organes de leurs emporte–
ments, répétaient « qu'il fallait cimenter l'Empire par une
loi de gravitation qui briserait les antipathies de race, les
haines de religion et les résistances de voisins avides. »
Le grand vizir Ali-pacha, tout en résistant à ce débor–
dement d'un patriotisme quelque peu troublé, était ferme–
ment résolu à profiter des circonstances pour secouer la
tutelle de l'Europe et faire disparaître partout les adminis–
trations diverses qu'elle lui avait, imposées. Ce n'était pas
qu'il voulût renier le
Tanzimât
qui avait bien déjà quelques
racines dans les mœurs nouvelles et qu'il jugeait aussi poli–
tique dans son principe que bienfaisant dans ses résultats.
Mais il entendait que la Turquie se réformât autant que
(1)
Il est à remarquer qu'avant la guerre de 1870, l'on entendait
répéter en Prusse : « Que la France nous laisse en paix avec sa civi–
lisation, nous n'en voulons pas. »
Fonds A.R.A.M