ne sommes pas en état de défendre notre petite République d'Erivan
contre la convoitise de tous nos voisins.
Un peuple grisé par son idéal n'a pas l'habitude de mettre un frein
à ses rêves et il s'obstine à demander la lune; mais ceux qui ont la
mission de conduire ses destinées n'ont pas le droit de flatter ses désirs
irréalisables pour une éphémère popularité. Les véritables hommes
d'Etat ont le mérite de résister au courant populaire et de conduire
d'une main ferme les esprits égarés dans le sentier de la réalité.
En résumé, après avoir touché presque au but et juste au moment
de la réalisation de notre idéal national de cinq siècles, nous avons
échoué piteusement en arrivant au port. Nos braves avaient fait triom–
pher la cause arménienne sur tous les champs de bataille, à la pointe
de leurs baïonnettes; suivant leur exemple, nos politiciens auraient dû
déployer la même énergie pour remuer l'univers et pour fouetter la
conscience universelle. Pour cette besogne, il nous fallait des hommes
énergiques et des moyens efficaces; i l nous manquait les uns et les
autres, tout nous faisait défaut : des hommes compétents, une caisse
d'indépendance, l'unité de direction et une solide organisation de pro–
pagande.
Après un pareil gâchis, ne soyons pas étonnés si notre cause est
perdue et ne faisons pas retomber tous les torts sur les Alliés pour
nous justifier : « Aide-toi toi-même et Dieu t'aidera », et nous n'avons
rien fait pour nous aider et les alliés ne demandaient pas mieux pour
nous laisser mijoter dans notre jus et se débarrasser d'une Arménie
qui n'avait pas l'avantage de posséder des puits de pétrole sur son sol.
Nous sommes tombés bêtement dans le guêpier que la diplomatie
européenne avait préparé à notre intention.
J^es alliés reprochaient à Guillaume
II
de considérer les traités
comme des chiffons de papier; leur attitude piteuse à l'égard de l'Ar–
ménie nous donne le droit de dire que la diplomatie européenne tout
entière n'avait pas "non plus la conception de cette haute morale qui
consiste à rester fidèle à la parole donnée, puisqu'ils ont trompé
sciemment l'Arménie après l'avoir utilisée à leurs desseins égoïstes.
Conscients de cette duperie, nous aurions dû nous adresser directe–
ment au jugement sain et honnête des peuples, mais non pas à leur
sournoise diplomatie dépourvue de toute conscience. Notre Délégation,
n'ayant pas eu le courage d'accomplir ce geste, a endossé la plus grave
responsabilité dans la perte de la cause arménienne en se rendant
inconsiemment la complice de la néfaste diplomatie des grands finan–
ciers. Puissent les leçons du passé nous fournir d'utiles enseignements
pour l'avenir, et que nous n'ayons plus de nouvelles calamités à ajouter
.
au martyrologe du peuple arménien.
Le mal est fait, mais les responsabilités doivent être retenues pour la
postérité. Sans nous arrêter à présager l'avenir et les événements qui
peuvent se produire ultérieurement, aux deux pôles de la politique
Fonds A.R.A.M