Le sultan Hamid, consterné, tout en larmes, se préparait à quitter
Constantinople pour Brousse. C'est dans ces moments particulièrement
critiques pour l'empire ottoman que l'escadre anglaise franchissait les
Dardanelles et jetait l'ancre devant Constantinople. Par ce coup de
force, l'Angleterre annulait le traité de San-Stefano et conduisait les
Russes au Congrès de Berlin.
L'article
61
du traité de Berlin remplaçait l'article
16
du traité de
San-Stefano et la Grande-Bretagne, en échange de ce grand service
rendu à la Turquie, recevait l'île de Chypre. De ce fait, l'article
61
était condamné à rester lettre morte.
A cette époque, Lord Salisbury occupait la fonction de ministre des
Affaires Etrangères dans le Cabinet de Beaconsfield. Lord Salisbury,
par une note officielle aux grandes puissances, avait attiré leur atten–
tion principalement sur l'inconvénient de l'existence de l'article
16
dans le traité de San-Stefano, mais, sur les démarches pressantes de
la Délégation de Mgr Krimian, le représentant de VAngleterre consen–
tait à faire introduire l'article
-61
dans le traité de Berlin, tout en
cachant que son exécution était tout à fait problématique.
Voilà maintenant le contenu de l'article
61 :
«
La Sublime-Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les
reformes et les améliorations exigées par les besoins locaux dans
les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité
contre les Kurdes et les Circassiens.
«
Elle donnera périodiquement connaissance des mesures prises à
cet effet aux puissances
qui en surveilleront l'application. »
Le traité de Berlin a été signé le
13
juillet
1878
par les puissances
suivantes : Angleterre, Allemagne, Autriche, France, Italie et Turquie.
Depuis
1878,
l'article
61
du traité de Berlin, au lieu de garantir la
sécurité des Arméniens dans l'empire ottoman, procurait un excellent
prétexte aux grandes puissances civilisées pour arracher au Sultan-
Rouge (d'après le qualificatif de Gladstone), à tour de rôle, des
concessions fructueuses et cela au prix du sang arménien.
En
1895,
les puissances présentaient à la Sublime-Porte un statut
de réformes pour les six départements arméniens et exigeaient au
moins apparemment son exécution. Le Gouvernement du tsar deve–
nant du coup le protecteur du sultan par l'intermédiaire de son
ambassadeur Nélidoff, lui conseillait de ne pas donner suite à la
demande des puissances et d'administrer une bonne leçon aux Armé–
niens. Les massacres dé
1895
et
1896
sont le résultat de cette pro–
tection. Le sultan, protégé par le tsar, comptant sur l'appui de son
ami Guillaume II, faisait assassiner
300.000
Arméniens, et aux démar–
ches pressantes des Arméniens, l'Angleterre répondait qu'elle ne pour–
rait pas envoyer ses bateaux de guerre sur le mont Ararat pour pro–
téger nos compatriotes, comme si la présence d'un seul croiseur
devant le palais du sultan n'eût pas suffi pour mettre fin à une
Fonds A.R.A.M