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Le Procès de Tehlirian
Le président:
Comment en arriva-t-on à la mort de vos parents, de vos frères
et sœurs?
L'accusé:
Lorsque le convoi se fut quelque peu éloigné de la ville, on nous fit
arrêter. Les gendarmes se mirent à piller le convoi et à nous prendre
l'argent et les objets de valeur.
Le président:
Les gardiens pillaient donc les déportés?
L'accusé:
Oui.
Le président:
Comment cela était-il justifié?
L'accusé (fait un geste significatif):
Cela, on ne l'a pas dit. Personne au mon–
de ne peut l'expliquer. Pourtant, il se passe beaucoup de choses de ce
genre à l'intérieur de l'Asie.
Le président:
Ainsi donc il se passe des choses sans qu'on puisse en déterminer
les causes?
L'accusé (souriant):
Oui, mais elles se passent.
Le président:
Avec d'autres peuples aussi?
L'accusé:
Seuls les Arméniens furent traités ainsi par les Turcs.
Le président:
Comment furent donc tués vos parents?
L'accusé:
Au moment du pillage, en tête du convoi éclata une fusillade. Un
gendarme saisit ma sœur et l'entraîna avec lui. Voyant cela ma mère
s'écria: «Que je devienne aveugle ! »... Mais je ne puis plus me sou–
venir de ce jour, je préfère mourir plutôt que de décrire ce jour, le
plus noir de tous.
Le président:
Je dois cependant vous faire remarquer que le tribunal attache
une grande importance aux choses qu'il peut apprendre de vous, car
vous êtes le seul qui puisse le renseigner sur ces faits. Peut-être
pourriez-vous vous ressaisir et vous dominer un peu.
L'accusé:
Je ne puis pas dire tout cela car encore une fois je suis toujours sous
l'impression des événements... On nous a tout pris, on m'a frappé,
puis j ' a i vu le crâne de mon frère fendu en deux par un coup de
hache.
Le président:
Votre sœur fut enlevée. Est-elle revenue?
L'accusé:
Enlevée et violée.
Le président:
N'est-elle pas revenue?
L'accusé:
Non.
Fonds A.R.A.M