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Le Procès de Tehlirian
L'accusé:
Nous avions toujours peur que des massacres aient lieu; nous
n'avons pas entendu parler de faits précis.
Le président:
Avait-on peur de ces massacres?
L'accusé:
On les avait craints pendant des années.
Le président:
Savez-vous de vous-même ou de vos parents quelque chose sur
les motifs des massacres?
L'accusé:
Je ne comprends pas la question.
Le président:
Avez-vous entendu parler chez vos parents des raisons de ces
massacres ?
L'accusé:
On disait que le gouvernement turc prendrait des mesures contre
nous.
Le président:
Le gouvernement turc a-t-il donné comme raisons qu'il y avait
des nécessités militaires? Que disiez-vous à ce sujet?
L'accusé:
J'étais encore assez jeune à l'époque.
Le président:
Vous étiez quand même déjà âgé de 18 ans.
L'accusé:
On m'a dit à l'époque qu'il s'agissait de motifs religieux et poli–
tiques.
Le président:
Il s'agit donc maintenant d'examiner les préliminaires du crime
d'après les expériences vécues par l'accusé.
Le procureur:
Je crois qu'il vaut mieux ne pas insister et écouter l'acte d'accu–
sation.
Le président (après délibération des jurés):
Nous aimerions entendre de la
bouche de l'accusé comment on en est venu aux massacres et ce dont
sa famille a souffert. L'accusé pourra raconter et son récit sera
ensuite traduit.
L'accusé:
Lorsqu'en 1914 éclata la guerre mondiale et que les soldats armé–
niens furent enrôlés dans l'armée turque, en mai 1915 vint l'ordre
enjoignant la fermeture des écoles et la déportation des hautes per–
sonnalités et des enseignants dans des camps.
Le président:
Était-ce des camps spéciaux, des camps de concentration?
L'accusé:
Je l'ignore. En tout cas, ces gens furent d'abord groupés, puis
déportés. J'avais peur et je refusais de quitter la maison. A peine les
colonnes étaient-elles parties que des bruits se répandirent, selon les–
quels les premiers déportés étaient déjà tués. On apprit par la suite
Fonds A.R.A.M