Introduction
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tard, Tehlirian quittait sa prison, escorté de la police, dans une auto disparais–
sant sous les fleurs (')•
La presse
D'une façon générale, le verdict produisit une impression très favorable
sur la presse allemande. Le célèbre polémiste Maximilien Harden, enthou–
siaste défenseur des principes wilsoniens, consacra le numéro du 4 juin de sa
Zukunft
à la cause de Tehlirian et de l'Arménie. Dans son style recherché et
bizarre, mais toujours vivant et coloré, il continua à publier des articles identi–
ques dans les trois numéros qui suivirent le procès.
L'acquittement de Tehlirian fut considéré comme un acte de justice
honorant le Tribunal et l'Allemagne. Des colonnes entières étaient consacrées
aux massacres arméniens, ce qui était une révélation pour la plupart des Alle–
mands que le gouvernement avait tenus soigneusement dans l'ignorance des
faits. Les auteurs des massacres et les Turcs en général étaient jugés très
sévèrement dans toute la presse. Seuls les journaux d'extrême droite volaient
au secours de la mémoire de Talaat et de la Turquie :
«...
Mais l'Allemagne n'est pas faite pour servir aux Asiates de lieu où ils peu–
vent vider à letfr gré leurs querelles et traduire en actes leurs ressentiments.
Ici, d'ailleurs, il faut remarquer que les Arméniens sont loin d'être d'une inno–
cence et d'une pureté tout angéliques, comme se plaît à les représenter une
fausse sentimentalité issue le plus souvent de motifs religieux. Tout n'est pas
lumière d'un côté et ombre de l'autre. Lorsqu'au début de la guerre les Armé–
niens, les armes à la main, se soulevèrent contre les Turcs, c'était à leurs yeux
un combat de libération que ne pouvaient justifier en aucun cas les massacres
en masse par lesquels on a voulu en finir avec eux. Mais que leur attitude ait
chauffé à blanc le fanatisme racial et religieux des Turcs, voilà qui est égale–
ment parfaitement compréhensible. Dès lors, comment porter un jugement
équitable, puisque c'est sur le sable mouvant des passions raciales venues
chez nous des plus lointaines régions que l'on marche? (
2
)»
(
Frankfurter Zeitung.
7
juin 1921)
«
Un homme fut mis à mort qui, dans l'histoire du peuple allemand, sera dési–
gné comme un fidèle allié. Il ne saurait nullement être question de faire retom–
ber la responsabilité de l'extermination du peuple arménien sur le gouverne-
(')
Boghos Nubar Pacha, président de la délégation arménienne à la Conférence de la Paix,
dès qu'il eut connaissance de l'heureuse issue du procès, s'empressa d'envoyer en son nom et au
nom de tous les Arméniens une lettre de remerciement au Dr Lepsius:
«...
L'acquittement de notre compatriote a prouvé une fois de plus qu'il y a des juges à Ber–
lin, et je ne doute pas que votre intervention n'ait puissamment contribué à éclairer et à remuer la
conscience de ceux qui ont absout Tehlirian».
(
2
)
Les 20, 21, 22 et 23 juin 1909, la « Frankfurter Zeitung», sous la plume de M . von Wend-
land, avait exprimé un point de vue différent sur les massacres d'Adana en 1909.
Fonds A.R.A.M