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Le Procès de Tehlirian
Turcs n'étaient que le gouvernement prussien d'alors et son état-major milita–
riste, tandis que le vrai peuple allemand ne pouvait pas être solidaire de leurs
actesj^!
«
L'ordre de déporter un peuple est la pensée la plus inhumaine et la plus
abjecte qui puisse germer dans l'esprit d'un militariste. Si, comme on l'a dit
ici, le comité turc avait été, avant de donner un ordre, informé de la qualité de
ses gendarmes, cet ordre n'aurait pas été donné, car i l n'y avait que des gens
de sac et de corde parmi ces gendarmes. Donnant néanmoins cet ordre, mal–
gré le peu de confiance qu'il pouvait avoir en ses troupes, le comité est respon–
sable. J'accuse le gendarme qui a commis une basse action, mais je l'accuse
moins que le chef qui, à Constantinople, donne l'ordre de déportation à de
tels exécutants. »
Le professeur Niemeyer fit l'analyse du cas juridique qui se présentait
dans des circonstances tout à fait imprévues et dont l'exacte signification
pourrait échapper à tous ceux qui n'ont pas des idées précises sur les peuples
d'Orient. Il dit que Tehlirian, comme Arménien, n'était pas exempt de ces
conceptions primitives qui sévissent encore parmi sa race et d'après lesquelles
le droit réside dans la conscience même qui joue un rôle prépondérant dans
tous les actes humains. Une fois que sa conscience lui eut ordonné de faire ce
qui était à ses yeux une œuvre de droit, aucune autre considération, même la
loi ne pouvait plus entraver l'acte dont l'accomplissement lui paraissait
comme, le plus sacré de ses devoirs moraux.
Le verdict
Les jurés se retirèrent pour délibérer. Jusqu'au dernier instant, personne
ne pouvait affirmer sur quelle sentence se conclurait le procès. Des bruits
extrêmement pessimistes avaient même couru sur le sort de l'accusé.
Mais après une heure de délibération, au milieu d'un silence religieux, le
président des jurés, Otto Reinicke, déclara:
«
Sur mon honneur et en toute conscience, j'atteste qu ' à la question:
L'accusé Soghomon Tehlirian est-il coupable d'avoir tué avec préméditatio
un homme, Talaat Pacha, à Charlottenburg, le 15 mars 1921,
la réponse
jurés est non. »
Des applaudissements frénétiques accueillirent le verdict. De son côté le
président du Tribunal annonça: «L'accusé est acquitté. Les frais restent à la
charge de l'État». Les applaudissements et les manifestations recommencè–
rent. Il s'ensuivit une scène d'enthousiasme indescriptible. Avocats, juges,
jurés, auditoire, prévenu, huissiers, policiers, tout était entremêlé. Chacun se
félicitait, chacun criait, notamment les dames allemandes. Les quelques Turcs
qui se trouvaient encore dans la salle s'empressaient de partir. Une heure plus
Fonds A.R.A.M