Introduction
17
Audition des témoins
C'est d'abord Madame Tersibachian qui produisit la plus forte impres–
sion en racontant les horribles épisodes de sa déportation dont le souvenir lui
arrachait des larmes. Le public allemand, qui ignorait tout des massacres
arméniens, exprimait son indignation en murmurant contre les Turcs: Schwei-
nehunde, Schweinehunde ! Les salauds, les salauds ! Le jury aussi, composé de
gens du peuple, était visiblement impressionné.
Puis lé Dr. Johannès Lepsius fut appelé à la barre. Sa longue déposition,
précise et documentée, mérite d'être retenue et méditée. Elle explique com–
ment l'Arménie devint la victime des intérêts et des rivalités des grandes puis–
sances en Orient. Dans la partie diplomatique qui se jouait alors, l'Arménie
n'était qu'un pion, tantôt poussé en avant, tantôt pris. Les raisons d'huma–
nité, la protection des chrétiens, n'étaient que des prétextes. Malgré l'article
61
du traité de Berlin, signé par six grandes puissances, malgré la convention
de Chypre par laquelle l'Angleterre s'engageait à protéger les chrétiens et à
obtenir des réformes pour l'Arménie, malgré la signature du Sultan acceptant
le plan de réformes anglo-russo-français, aucune des grandes puissances n'est
intervenue, si peu que ce soit pour sauver ses « protégés », pour punir le coupa–
ble ou pour prévenir le crime.
Appelé à son tour à la barre, le général Otto von Sanders a surtout fait
valoir les «circonstances atténuantes». Sa déposition devait naturellement
envisager la question sous l'angle militaire. Il a souligné qu'une bonne partie
des horreurs commises au cours des déportations était due à l'état abject de la
gendarmerie turque. Avant la guerre, cette gendarmerie était excellente; elle
formait une troupe d'élite d'environ 85 000 hommes. Elle fut peu à peu incor–
porée dans l'armée régulière, et l'on dut recourir à une gendarmerie de for–
tune, composée de brigands et de sans-travail. On imagine à quelles extrémités
a pu se livrer une telle gendarmerie, dépourvue, ou à peu près, de discipline.
Le général termina sa déposition en disant qu'il ne saurait préciser dans quelle
mesure les ordres de déportation sont l'œuvre de Talaat. Ils ont été élaborés
par un comité d'intellectuels et agréés par le conseil des ministres. L'exécution
de ce plan infernal fut assurée par les valis, les fonctionnaires subalternes et la
gendarmerie turque d'alors. Désirant cependant préserver l'honneur de l'Alle–
magne, von Sanders ajouta:
«
A ma connaissance, le gouvernement allemand a fait tout ce qui était en son
pouvoir, compte tenu des circonstances et de la situation d'alors, mais ce
n'était pas facile pour l u i . A i n s i , je sais que l'ambassadeur, le comte Metter-
nich, a élevé une protestation énergique contre les mesures prises contre les
A r m é n i e n s » .
La déposition deiMgr Krikor Balakian, prélat de l'Église arménienne, qui
avait connu personnellement Talaat Pacha, allait provoquer un incident entre
Fonds A.R.A.M