16
Le Procès de Tehlirian
avait interdit au consul Rôssler de témoigner devant le tribunal, ce qui lui
valut des attaques d'une partie de la presse de Berlin. Les avocats chargèrent le
Dr. Paul Pfeffer, de Berlin, de traduire en allemand les dépêches de Talaat
Pacha. Cette traduction comportant quatre pages fut communiquée aux mem–
bres du tribunal, aux jurés, à la presse et à diverses personnalités. Les avocats
surent alors utiliser devant le tribunal les originaux de quelques-uns de ces
documents qui contribuèrent à former la conviction de la cour et des jurés.
^j^PannUes témoins à décharge il faut citer en premier lieu le Dr. Lepsius;
le maréchal Liman von Sanders, commandant du I
e r
corps d'armée de Cons-
tantinople, puis inspecteur général des armées turques, auteur de l'ouvrage
«
Cinq années en Turquie».
Il y avait aussi Madame Christine Tersibachian et
son frère Léon Eftian, de Paris, rescapés des massacres; des sœurs de charité
allemandes
:
qui se trouvaient dans les provinces arméniennes pendant la
déportation; Mgr K. Balakian, mandé de Manchester, et beaucoup d'autres
parmi lesquels l'écrivain arménien A. Andonian, auteur d'un ouvrage analysé
par le consul W. Rôssler:
«
Documents officiels concernant les massacres
d'Arménie»
/
le Dr. Armin T. Wegner, écrivain allemand, membre du service
sanitaire du maréchal von der Goltz, témoin oculaire des massacres de Der
Zor.
Le code allemand n'admet pas de partie civile. Il n'y avait aucun témoin à
charge. La femme de Talaat Pacha fut convoquée pour un simple renseigne–
ment : on voulait savoir si elle se trouvait auprès de son mari au moment de
l'attentat. Elle répondit négativement et se retira.
Déclaration de Tehlirian
Tehlirian exposa qu'il avait été lui-même déporté, qu'il avait reçu trois
blessures et avait vu de ses propres yeux massacrer sa mère, ses parents et ses
sœurs. Il a affirmé qu'en venant en Allemagne il n'avait aucunement l'inten–
tion de tuer Talaat Pacha. Il a ajouté qu'il ne savait même pas que celui-ci se
trouvait à Berlin. Un jour, il l'avait rencontré dans la rue, l'avait reconnu et
suivi sans intention hostile, par simple curiosité. Mais quinze jours avant
l'attentat, il avait vu en songe un tas de cadavres parmi lesquels il reconnut ses
parents massacrés. Et voilà que sa mère s'était dressée et l'avait réprimandé
très sèchement en disant: «Comment, tu sais que l'assassin de ta mère, de ton
père, de tes frères et sœurs est ici, et tu restes encore indifférent ! Tu n'es plus
mon fils ! ».
De ce jour il décida de tuer Talaat.
Le président lui fit observer qu'il ne devait pas être son propre justicier
puisqu'il y avait la loi. Tehlirian répondit : « L'injonction si sévère de ma mère
m'a fait oublier la loi. Mais, malgré tout, je suis content et soulagé, et ma
conscience est tranquille. Je ne suis pas un criminel».
Fonds A.R.A.M