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Il y a vingt ans, lorsque les massacres ordonnés par le
sultan Abdul-Hamid ensanglantèrent
l'Arménie, quelques
voix seulement en Europe, quelques voix indignées protestè–
rent contre regorgement d'un peuple. En France, un très
petit nombre d'hommes appartenant aux partis politiques
les plus opposés s'unirent pour revendiquer les droits de
l'humanité grandement offensée. Vous les connaissez: Jau–
rès, Denys Cochin, Gabriel Séailles, Ernest Lavisse, Jean
Finot, Victor Bérard, Francis de Pressensé, le Père Charme-
tant, Pierre Quillard, Clemenceau, Albert Vandal, quelques
autres encore que je m'excuse de ne pas nommer... Le peuple
arménien ne nous était connu que par les coups qui le frap–
paient. On ignorait tout de lui: son passé, son génie, sa foi,
ses espérances. Le sens de son extermination échappait.
lien
allait ainsi il y a deux ans. La grande guerre éclata. La Tur–
quie s'y comporta comme une vassale de l'Allemagne. Et la
lumière se fit soudain en France sur l'esprit de l'Arménie et
sur les causes de son martyre. On comprit que la longue
lutte inégale du Turc oppresseur et de l'Arménien était, à la
bien comprendre, la lutte de la barbarie contre l'esprit de
justice et la liberté».
En effet, l'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de
l'Allemagne avait — du moins en apparence — modifié tota–
lement les données de la question arménienne. Jusqu'alors
les patriotes arméniens avaient vainement agi auprès des
puissances européennes afin qu'elles contraignent le sultan
à exécuter les réformes en faveur des Arméniens auxquel–
les l'engageait l'article 61 du Traité de Berlin. En juillet
1908,
les Jeunes-Turcs prennent le pouvoir. Les Arméniens,
dans leur quasi-totalité, prenant leurs espérances pour des
réalités, avaient cru qu'un terme serait mis au martyre de
l'Arménie. Quelques mojs plus tard, les massacres d'Adana,
au cours desquels des milliers d'Arméniens furent à nou–
veau égorgés, vinrent semer un doute cruel dans les esprits.
Dès le début de cette «révolution» des Jeunes-Turcs, Tcho–
banian fut réservé et méfiant. I l s'en expliqua dans un arti–
cle en arménien consacré à l'écrivain Krikor Zorhab et
publié dans la revue ANAHIT
6
.
Aussi refusa-t-il de se fixer à
Constantinople comme ses amis l'y engageaient en 1908.
6.
D e u x i è m e série, n ° 3, septembre-octobre 1930, p.
4.
PRESENTATION
Fonds A.R.A.M