L ' A R M É N I E A L ' É P O Q U E H E L L É N I S T I Q U E
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point de vue stratégique que sous l'angle politique et c omme r c i a l
1
.
La cité de Tigrane était v r a i me n t le lieu géométrique d'un empire
allant des abords d u Caucase aux frontières de la Palestine, du
seuil de la Cappadoce aux lisières de la Médie. Elle contrôlait
la grande r ou t e de commerce q u i , partie d'Antioche, filait par
Zeugma, Edesse, Nisibe et Arbèles vers Ecbatane et Hécatom-
pylos chez les Parthes, pour gagner la Bactriane et l ' I n d e
2
.
Pour peupler sa capitale, T i g r ane y transporta 300.000 h a b i –
tants de ses diverse provinces, n o t amme n t des gens de l'Adiabène
(
Assyrie) et de a Gordyène voisines ; dans la même i n t e n t i o n i l
envahit en 78-77 la Cappadoce et transféra à Tigranocerta les
habitants de Mazaca, des Grecs, spécifie Plutarque
3
.
I l en agit
de même en Cilicie avec la colonie grecque de Soli
4
.
L e même
auteur ajoute que Tigrane a v a i t aussi transféré au voisinage des
«
Arabes Scénites » (c'est-à-dire ha b i t an t sous la tente) q u ' i l
avait arrachés à leur vie nomade « pour s'en servir dans le com–
merce », c'est-à-dire comme caravaniers sur la grande route
commerciale q u i passait sous Tigranocerta
5
.
On entrevoit
ainsi un double peuplement : peuplement pr opr emen t u r b a i n
dans la nouvelle capitale don t son fondateur entendait faire une
cité hellénisante à l'aide de colons grecs d'Asie-Mineure ; peuple–
ment rural alentour, par la fixation, la sédentarisation des Arabes
de grande tente venus de la Djéziré ou du désert de Syrie.
Les historiens classiques nous permettent d'entrevoir aussi
l'armature du nouvel empire. L a monarchie est calquée sur
celles du monde iranien, avec un appareil imité de Suse et de
Persépolis. « Une foule de rois faisaient leur cour à T g r a n e . I l
y en avait quatre q u ' i l tenait sans cesse autour de sa personne
comme des huissiers ou des gardes. Toutes les fois q u ' i l sortait
à cheval, ces rois couraient à pied devant lui, vêtus d'une simple
tunique, et lorsqu'il donnait audience, ils se tenaient debout
autour de son trône, les mains enlacées l'une dans l'autre. »
Attitudes protocolaires des dynastes vassaux envers le Grand
Roi et qu i mo n t r e n t à quel p o i n t la t r a d i t i o n achéménide était
vivace en Orient. F a u t - i l s'étonner qu'elle se soit imposée à
Tgrane quand nous savons q u ' u n Alexandre le Grand y a v a i t
cédé au point d'exiger des Grecs les mêmes postures d'adoration ?
Toujours à la mode iranienne, Tigrane se mo n t r a i t donc en public
dans le plus somptueux appareil, « vêtu d'une t un i qu e rayée
1.
Cf. T h . R E I N A C H ,
Mithridate
Eupator,
p. 346.
2.
Sur les anciennes routes de c o mm e r c e à t r a v e r s l'Arménie à l'époque
romaine, cf. H a k o b M A N A N D I A N ,
Les anciens itinéraires
d'Arménie,
Artaxata-
Satala et Artaxata-Tigranocerta,
d'après la carte de Peutinger,
dans
Revue des
Eludes Arméniennes,
t . 1 0 , 1, 1930, p. 143-147.
3.
A P P I E N ,
Mithridate,
67.
S T R A B O N , X I , 14, 15 ; X I I , 2, 9.
P L L T A R Q U B ,
Lucullus,
2 1 .
4.
D I O N C A S S I U S , X X X V I , 37. P L U T A R Q U E ,
Pompée,
28.
5.
P L U T A R Q U E ,
Lucullus,
21,
29,
Fonds A.R.A.M