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P R I N C I P A T
D E S
B A G R A T I D E S
mane qu'était la ville de K h e l a t h d'où i l i n v i t a Bagarat Bag
ra
t o u n i à se rendre auprès de l u i *.
L e seigneur d u Tarôn, plus confiant qu ' Ac ho t Ardzrouni,
n e
discerna pas le piège caché sous cette i n v i t a t i o n . C'était en
«
prince des princes » que Yoûsouf, affectant d'avoir oublié les
récentes injures, a v a i t soin de le traiter. L'émir, qui devait
rentrer prochainement à Baghdad , déclarait vouloir confier à
Bagarat le gouvernement de l'Arménie. Bagarat se rendit donc à
Kh e l a t h avec u n grand nombre de serviteurs. Aussitôt Yoûsouf
le fit charger de chaînes et l'envoya à la cour du khalife, à
Sâmarrâ (851)
2
.
A y a n t ainsi désarmé d'avance la principauté
d u Tarôn, l'émir se r e nd i t dans cette province où i l hiverna à
Mou c h avec tous ses otages. I l fit peser sur le pays taronite une
dure servitude, réduisant les habitants en esclavage pour les
revendre sur les marchés d'hommes de
ï
I r a q . « Une partie d'entre
eux étaient destinés à servir dans les villes comme porteurs
d'eau, fendeurs de bois, assujettis aux t r a v a u x les plus rudes. »
Beaucoup de Taronites s'enfuirent dans les provinces voisines,
«
leur pays étant complètement dévasté, à l'exception des hau–
teurs et lieux fortifiés du canton de Khoïth, toujours occupés par
les montagnards »
3
.
Le récit de Thomas A r d z r o u n i prend i c i une grandeur farouche.
«
L ' h i v e r étant survenu (hiver de 851-852), la température devint
rigoureuse par l'effet des épais brouillards. Une neige profonde
nivela le pied des montagnes. L a ville du Tarôn (Mouch) servait
de tanière au général arabe. A i n s i un ours de forte taille, se nour–
rissant de racines d u r a n t l'hiver et q u i , la vie comme suspendue,
se t a p i t dans sa tanière. Te l ce Yoûsouf guettait la' fin de l'hiver
pour s'élancer et porter au cœur de l'Arménie le fer et la cap–
tivité. » Yoûsouf pensait en effet qu ' a y an t capturé le prince de
Tarôn avec ses principaux nakhararq, i l tenait le pays à sa merci.
I l avait compté sans le peuple taronite lui-même, en l'espèce
sans les farouches montagnards du Khoïth
4
: «
Ceux-ci, com-
1.
T H O M A S , I I , 6, p. 103-104.
2.
P e u après, les Arabes déportèrent également le diacre syrien Nana ou
Nonnos (Jean) de Nisibe, auteur d'un commentaire en arabe sur l'évangile
de saint J e a n . Ce commentaire, rédigé vers 840, avait été présenté par Nonnos
à Bagarat Bagratouni « qui connaissait bien cette langue », puis traduit en
arménien à l a demande d u
sparapet
Sembat Bagratouni. Cf. M A R I E S , I n
commentaire de l'Évangile de saint Jean, R. E. A.,
I , 3, 1921, p. 273-296.
3 .
T H O M A S I I , 6, p.
104.
4.
V o i r dans T h o m a s A r d z r o u n i , I I , 7, p. 105, l a description de ces monta–
gnards qui v i v a i e n t isolés e n h a m e a u x séparés p a r de tel les distances que
les différences dialectales d ' u n groupe à l'autre étaient considérables. « I'
!
vivent p a r familles séparées à de telles distances que si u n homme pousse
un grand c r i , de dessus une hauteur, à peine réussit-il à faire entendre
w
léger son qui semble n'être répercuté que p a r les rochers. L a plupart ont
perdu l'usage de leur langue maternelle, p a r suite de l'éloignement de leurs
habitations respectives et de l a rareté de leurs relations, et, des uns aux
autres, i l leur faut des interprètes. C omme charrues ils se servent de fourcnes
Fonds A.R.A.M