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L ' A RMÉ N I E A L ' É P O Q U E
H E L L É N I S T I Q U E
A l'été de 68, Lucullus tenta la conquête de l'Arménie propre.
Son objectif était la vieille capitale arménienne, Artaxata. Mais
la conquête d'Artaxata, au cœur de la « citadelle arménienne »,
était une tout autre affaire que la prise de la « ville-frontière » de
Tigranocerta. Lucullus, en montant de la vallée du Tigre vers
les hauts plateaux arméniens, avait compté sans le climat. « La
belle saison, en Arménie, ne dure que quatre mois, de juin à
septembre, et la végétation y est si tardive que lorsque Lucullus,
parti de Mygdonie en plein été, déboucha sur les plateaux de
Van, i l trouva les blés encore verts. » Changeant de tactique,
Tigrane, qu'accompagnait toujours Mithridate Eupator, refusa
obstinément la bataille. Le gros des forces arméniennes et poli–
tiques se tenait enfermé dans des camps retranchés, sur des
hauteurs d'où les feintes des Romains ne parvenaient pas à les
déloger. En même temps, la cavalerie légère arménienne, « vol–
tigeant autour des Romains, tâchait d'enlever leurs fourrageurs ».
Cette tactique prudente eut raison de la patience de Lucullus.
Pour forcer les Arméniens à une action décisive, i l remonta la
vallée de l'Arsanias (Mourad-sou), en direction d'Artaxata.
Tigrane le suivit à la piste. Au bout de quatre jours de marche
les deux armées en vinrent aux mains près d'un gué du fleuve,
peut-être dans la région de Manazkert. Cette fois les Arméniens
et leurs auxiliaires ibères et autres recoururent à une tactique
nouvelle que les historiens classiques devaient qualifier un peu
plus tard de « tactique parthe » : ils cédaient, puis faisaient volte-
face et criblaient les Romains de nuées de flèches barbelées. En
même temps Tigrane, avec ses gardes à cheval et les cavaliers
d'Atropatène conduits par son gendre, attaquait de front les
légions que Mithridate Eupator essayait de pr ndre à revers. Un
moment i l faillit l'emporter. Lucullus, i l est vrai, réagit à temps.
«
I l rappela sa cavalerie qui contint Tigrane ; lui-même réussit
à enfoncer les gens de l'Atropatène, et les cohortes de seconde
ligne, arrivant à la rescousse, mirent Mithridate en fuite. »
Lucullus finit par conserver le champ de bataille où l'adversaire
laissa t 5.000 morts, mais depuis la bataille du Tigre les Armé–
niens et leurs alliés s'étaient visiblement ressaisis et, selon l'ex–
pression de Théodore Reinach, la victoire du général romain
était « une victoire à la Pyrrhus »
1
.
En effet, à mesure que la résistance arménienne s'accentuait,
l'été touchait à sa fin, et déjà gelées et tempêtes de neige com–
mençaient. Plus l'armée romaine avançait vers le Nord, plus le
climat devenait rigoureux. « Ce n'étaient que bois, marais, défilés
rocailleux, rivières à moitié prises dont la glace s'ouvrait sous les
pas des chevaux et coupait leurs jarrets. L'eau glaciale des
1.
T h . R E I N A C H , p. 366-368 d'après P L U T A R QU E
Lucullus,
31,
DION.
X X X V I , 7, et A P P I E N ,
Mithridate,
87.
Fonds A.R.A.M