L ' A RM É N I E A L ' É P O Q U E
H E L L É N I S T I Q U E
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Mais Lucullus était un des plus habiles stratèges de la Répu–
blique- En apprenant l'approche de la grande armée arménienne,
il laissa devant Tigranocerta avec 6.000 hommes son lieutenant
Murena et, avec le reste de ses forces — de 11 à 13.000 fantassins
et 3.000 cavaliers —, i l s'avança à la rencontre de Tigrane. Le
choc se produisit le 6 octobre 69 sur les bords du Tigre, peut-
être en amont du confluent du Centritès ou Bohtan
1
.
Le
monarque arménien commandait lui-même le centre de son
armée. I l avait confié son aile droite au roi d'Atropatène, son
aile gauche au roi d'Adiabène. La majeure partie de sa cavalerie,
composée de cataphractaires. se massa en avant de l'aile droite.
Mais le terrain de la rencontre était accidenté et ces escadrons
bardés de fer qui constituaient la force principale de l'armée
arménienne, ne purent se déployer. Un mouvement tournant de
Lucullus qui surprit l'ennemi en tombant sur son train des équi–
pages, jeta la confusion dans les rangs de Tigrane. Puis la cava–
lerie romaine, par une fuite simulée, attira au loin les cataphrac–
taires que Lucullus attaqua à revers et mi t en déroute. Le soir,
la défaite de Tigrane était complète
2
.
Dans sa retraite, le roi vaincu rencontra Mithridate Eupator.
Les deux princes durent s'entretenir du salut de l'Arménie
propre, car les conquêtes arméniennes au sud du Tigre étaient
perdues. Tigranocerta elle-même succomba par la défection des
mercenaires grecs et ciliciens. Lucullus, en occupant l'éphémère
capitale, renvoya dans leurs foyers les colons grecs ou autres
que Tigrane y avait établis. Les vassaux méridionaux de Tigrane
passèrent dans la clientèle romaine, notamment Antiochos, roi
de Commagène. Les Romains hivernèrent dans la Gordyène
(
hiver 69-68). Une seule grande place résistait encore, Nisibe,
défendue par l'ingénieur grec Callimaque. Ce n'est qu'à l'automne
de l'an 68 que Lucullus devait réussir à s'en rendre maître.
Mais dans l'intervalle i l avait perdu la guerre
3
.
En effet, Tigrane qu'accompagnait Mithridate, ne s'abandon–
nait pas. Parcourant toute l'Arménie, i l réunit une nouvelle
armée de 40.000 fantassins et 30.000 cavaliers instruits à la
romaine par des officiers grecs ou des dissidents italiens, armée
qui, en plus des Arméniens, comprenait des Ibères et surtout des
gens de l'Atropatène, amenés par le roi de ce pays, lequel était,
on s'en souvient, le propre gendre de Mithridate. Les pillages
de temples dont Lucullus était coutumier permirent de donner
à cette prise d'armes, selon l'expression de Théodore Reinach,
l'allure d'une lutte de défense « religieuse et nationale »
4
.
j . Th. R E I N A C H , p. 3 6 2 .
2.
PLUTARQUE,
Lucullus,
2 6 - 2 8 .
A P P I E N ,
Mithridate,
85.
M E M N O N , C. 57.
IRONTIN, I I , 2 , 4 ; ch. I I , 1, 14. D I O N CASSIUS, X X X V I , 2 , 3.
3.
EUSÈBE, I I , 135 h.
4-
Th. R E I N A C H , p. 3 6 5 .
Histoire de l'Arménie.
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Fonds A.R.A.M